A Knife in the Dark...

[Privé avec Tracy Wade]

La salle de torture était plongée dans l’ombre. Aucune lumière n’était allumée, mais une lueur blafarde éclairait ces lieux malsains, créant des formes dans les recoins, des silhouettes ténébreuses dans la semi obscurité de l’endroit. La pièce sentait le sang, elle sentait la douleur. Ses murs délavés étaient imprégnés des cris atroces des suppliciés qui avaient hurlé leur peine sans que personne ne puisse les entendre, et quand bien même quelqu’un les aurait entendu, pourquoi serait-il venu à leur secours. Les torturés étaient pour la plupart des élèves, des sous-fifres, des inférieurs, et les bourreaux les professeurs, ou des élèves plus âgés, vengeurs et punisseurs. Les seconds ayant l’ascendant naturel sur les premiers, ou du moins une ascendance que les règles de l’école veut inculquer aux petits suiveurs respectueux des règles, très peu nombreux dans cette école mais soit… pour les plier à l’autorité ‘naturelle’ des plus forts. À travers un régime qui se voulait strict, autoritaire et conçu pour la ‘logique’ de l’Ecole du Flux, c’était en fait la loi de la jungle qui dirigeait l’école et la régissait en castes fermées ayant pouvoir sur les autres, la caste ultime étant la tête de l’établissement, le mal-aimé Caliban Leviaz, directeur, savant fou et maître de l’Envie.

Bien entendu, Valentin ne supportait pas tout cela. Il n’était pas un suiveur, il n’était pas un mouton qui obéissait aux règles en bêlant idiotement sous l’égide d’une puissance arbitraire et injuste. C’est d’ailleurs ce tempérament rebelle qui lui valut son second redoublement, et d’atroces souffrances, qui lui rappelèrent presque avec nostalgie ses premières années à l’Ecole, quand les grands de l’époque défoulaient leur rage et leurs envie de souffrances d’autrui sur sa faible personne. Il les avait toujours enviés, il avait toujours rêvé d’être à leur place, et eux à la sienne. Il avait aimé imaginer leur faire mal, les faire hurler sous les coups de fouets, de chaines ou par pincements de tenailles aiguisées et tranchantes. Il n’en avait jamais vraiment eu l’occasion, cette vengeance était jusqu’ici restée en lui. Il n’était pas assez cruel pour faire ça au premier venu… Il aurait fallu que le supplicié ait quelque chose de plus de Valentin, pour qu’il puisse se délecter de le rabaisser à son niveau, jaloux et envieux. Mais la cruauté gratuite n’était pas son loisir préféré, encore qu’il se disait bien que tous méritaient de souffrir puisqu’ils avaient tous moins souffert que lui durant leur enfance…

Bref, Valentin était arrivé ici en suivant son errance rêveuse, comme à l’accoutumée, et il n’avait même pas prit conscience de l’endroit où il se trouvait. Il s’imaginait alors loin du Val, ailleurs, dans une contrée ensoleillée, en bord de mer, accompagné par de charmantes créatures de chair qui satisferaient ses désirs les plus secrets, outre sa vengeance sur le monde, qu’il n’aurait alors plus à accomplir puisqu’il serait heureux… Rêves futiles, s’était-il enfin dit, reprenant conscience de son corps, de son statut d’élève de l’école du Flux, de sa position dans cette même école, au cœur de la sombre salle de torture.

Les engins du mal et de la douleur l’entouraient de partout. Sangles, fouets, chaines, piques et autres lames acérées, tous ces dangers étaient là, au repos, attendant leur prochaine victime.

Valentin soupira un instant, promenant son regard sur le tas d’armes de lâcheté. Mais un éclat attira soudainement son œil unique. Un éclat métallique qui brillait dans le noir. Doucement, sans un bruit, de sa démarche aérienne et légère, il s’approcha de l’endroit et ramassa l’objet de sa curiosité : une dague, une simple dague torsadée à la lame tranchante et luisant d’une lueur glaciale. Une tâche de sang sec en recouvrait une bonne partie, témoin qu’elle avait été utilisée, et non nettoyée par la suite. Était-ce là une nouvelle torture ? Faire mal avec des outils emplis de bactéries ? La gangrène était douloureuse, certes, mais quel esprit machiavélique aurait put mettre au point une torture aussi lente ? hm… à peut près tout le monde de ‘respectable’ dans l’école, en fait… Il devait l’oublier, très certainement.

Il porta la lame à son nez, doucement, et huma le parfum de celle-ci. Elle sentait encore un peu le sang, même si celui-ci était sec. Elle avait été utilisée récemment, mais pas dans la journée. Et la personne qui l’avait prise avait omis de la ranger à sa place. Heureusement qu’il passait par là pour la voir. Il ne doutait à aucun instant que ce manque d’entretien du matériel aurait des conséquences désastreuses sur le coupable de cette infamie, si bien sûr il était révélé au grand jour. Si personne ne se dénonçait, c’est le hasard qui choisirait, sans doute, et il frapperait fort, pour l’exemple… Valentin repensa à son œil arraché et poussa un petit gémissement du souvenir de cette vive douleur. Il toucha la bille de verre noire et cerclée de rouge qui était enfoncée dans son orbite avec une certaine mélancolie de son si bel œil bleu… Un jour, il se vengerait…Un jour…

Il regarda à nouveau la lame, et la fit tourner doucement dans la semi-obscurité, essayant de faire vaciller des reflets argentés sur le sol et les objets… Il restait un rêveur, un artiste de l’âme, avant tout…

Invité

Il va se blesser ce con, pensait Tracy tout en observant Valentin jouer avec la lame ensanglantée. Celle-ci reposait au creux d'une ombre, dans un coin de la salle. Elle était venue pour réfléchir et se retrouver seule, mais elle avait été interrompue par cet idiot.

Tandis que la demoiselle l'observait paresseusement, une grande morosité la prit. C'était sûrement ses lieux macabres, beaux et majesteux ; pûrs, intransigeants et admirable. Ca lui faisait l'effet d'une décharge électrique, c'était bon et ça lui donnait des frissons dans toute la colonne vertébrale. Les murs ensanglantés dégageaient une odeur salvatrice et reflétaient l'écho de tous les rugissements et cris mêlés, de bourreaux à victimes... Tracy se passa la langue sur ses lèvres fines, aspirant à découvrir un jour LA victime que tout le monde recherche une fois dans sa vie, cette âme sœur acceptant tous les sacrifices, et s'offrant à la mort avec une salve de lamentations exquises. Cet endroit... Tellement érotique. La jeune fille adorait se retrouver ici, plongée dans le noir le plus total, à s'imaginer la violence la plus extrême. Alors l'inspiration lui venait et elle notait sur son petit carnet toutes les idées maléfiques qui lui étaient venues. Parfois même, ce n'était pas de simples idées, mais une véritable force - une aura vengeresque - que seul le mal pourrait engendrer.

Tracy effleurait doucement les parois autour d'elle, se prenant d'une part pour une sadique et d'autre part pour son jouet. Comme étant à la fois retenue par les chaînes qui pendaient près d'elle, et à la fois comme si elle tenait un fouet d'un main pour briser la nuque d'un de ses camarades de classe. Lorsqu'elle cherchait une victime, son esprit revenait automatiquement sur le visage de sa toute première fois - la jeune fille s'appelait Johanna - mais ça remontait à loin. Johanna avait été une victime parfaite, surtout pour une première fois... Avec un sourire, Tracy se laissait aller à ses réminescences et jouissait de ce souvenir délicieux.

Enfin, la demoiselle sortit de sa cachette. Elle s'était décidée à s'arracher à son obscurité. Il lui fallait discuter avec le jeune homme, malgré la légère folie qui parcourait son regard à chaque instant. Valention l'effrayait - elle adorait ça, même si elle ne l'aurait jamais avoué. Et puis cet unique œil l'attirait. Avec un sourire coquin et charmant, Tracy s'approcha de son ancien camarade de classe et le salua d'un signe de tête lorsqu'elle fut certaine qu'il l'avait remarquée.

- Comment vas-tu ? demanda t-elle, nonchalante, tout en passant une main délicate dans ses boucles sombres.

Et la lame brillait dans l’obscurité, par les courbes qu’elle décrivait dans l’air autour de Valentin, qui la maniait comme un enfant aurait manié un petit avion en papier, le faisant voler autour de lui en formant virages et loopings, descentes et montées aléatoires et improvisées. Mais la différence résidait dans le fait que les mouvements de Valentin étaient beaucoup plus lents, beaucoup plus précis. Ils ne souffraient pas de la moindre hésitation, ils étaient fluides. Oui, la différence était la folie qui habitait le jeune homme, et la lueur de cette même déraison qui illuminait son œil admiratif de l’éclat sanglant de cette lame dans les ténèbres de cette sale de torture.

Puis, alors qu’il tournait sur lui-même, lentement, son regard aperçut par delà la lame une ombre mouvante, un reflet pâle qui bougeait dans l’obscurité. Il s’immobilisa alors entièrement, ne bougeant plus un poil, laissant sa main armée en l’air, et son œil bleu se fixa sur la chose qu’il avait aperçue. Il s’agissait d’une demoiselle, à la peau pâle et aux cheveux sombres. Une demoiselle qu’il avait déjà vue, auparavant, à laquelle il avait sans doute déjà parlé, bien que ses souvenirs ne soient pas plus précis que ça. Oui, il la connaissait, elle était de l’Envie, elle aussi, et elle était dans sa classe, l’année passée, lorsqu’il avait encore ses deux yeux, lorsqu’il pouvait observer le monde par la réalité, et non pas par le rêve, par la folie, la démence, comme il le faisait maintenant. Son prénom était Tracy, et quiconque pouvant croiser son regard bleu et fatal ne pouvait l’oublier. Et Valentin ne l’avait pas oubliée…

Alors qu’elle s’approchait doucement de lui, passant sa main dans ses cheveux noirs, elle lui demanda sur un ton nonchalant comment il allait. Question pour le moins étrange, s’il en était, dans cette école d’égocentriques qui n’hésiteraient en aucun cas à écraser violemment les autres pour être plus puissant. Il baissa la main, et la lame sanglante vint se poser tout contre sa cuisse. Il pouvait en sentir la froide température à travers son pantalon vétuste et déchiré à quelques points.

Avec une visible perplexité, un léger ton d’abandon de la raison et un air désabusé et lointain, qui contrastait avec son regard fixé sur la jeune femme, Valentin répondit enfin.

« Comment saurais-je comment je vais, jeune demoiselle ? Ne sommes-nous point ici dans l’ignorance total de notre état, qui sans doute peut passer de bien à mal en une fraction de seconde, sans même que l’on s’en rende compte. N’est-ce pas ? Qu’est-ce qui vous amène en un endroit si sombre ? »

Jamais au grand jamais il ne pouvait répondre normalement, et ce même à des questions banales et simples telles que celle qui lui avait été posée. Valentin était une énigme pour lui-même, et tout en répondant, il s’était avancé, lentement, très lentement, vers la demoiselle, avançant l’une après l’autre ses longues jambes sans quitter une seconde le regard de Tracy…

Valentin cligna alors des yeux, lentement, et curieusement, la jeune demoiselle qu’il avait cru voir un instant reposer devant lui, qu’il avait entendu parler, et à laquelle il avait répondu, s’était volatilisée. Il se tourna, lentement, d’un côté à l’autre de la pièce, comme si elle avait bougé, comme si elle avait fui. Elle n’était plus là.

Était-ce encore un de ces rêves, qui mêlaient fiction et réalité dans son esprit empli de cette folie étreignant sa raison ? Peut-être… Certainement, à en juger par les apparences. Mais il ne s’en formalisa pas. Il avait l’habitude de ce genre de manifestation, et c’était devenu normal, pour lui qui ne distinguait plus réellement où était le vrai et le faux. Il vivait dans sa propre réalité…Aussi sombre soit-elle.

Le calme était retombé dans la salle de torture, et il se contenta de ranger sans un bruit le couteau dans son étui. Au moins, il ne trainerait plus là, au milieu de tout.

Alors, il quitta les lieux, sans même s’en rendre compte, emporté sans doute par un nouveau rêve éveillé, par une nouvelle réalité inconsciente et onirique…

[Tracy étant partie, je clos le sujet de manière plus ou moins logique... Fin... à la manière de Valentin...]

» [Description:] In the Dark.