Le vent n’était pas bien chaud. Une brise relativement fraîche courait au travers des arbres, faisant bruisser les feuilles, loin au-dessus, en un fourmillement familier. L’air lui-même recelait une froideur naissante, digne d’un mois d’octobre et prémisse d’un hiver glacial. La forêt, un peu plus loin, frissonnait elle-même, presque d’appréhension, et les eaux du Lac, de l’autre côté, reflétaient les rayons du soleil comme de l’or gelé. Au milieu de ce paysage automnal aux allures de géant endormi, la chaleur à l’état pur se promenait. Autour de la Luxure, les couleurs semblaient se ternir. Du noir, du blanc, du gris… un peu de rouge et de jaune-pâle, celui des feuilles tombantes, peut-être… Eva tranchait sur ce décor vague, comme un point de lumière à travers l’obscurité. Ou une tâche maladroite et dérangeante au milieu d’un tableau parfait… A vous de voir.
La jeune femme était pieds nus, comme elle en avait l’habitude, et ne paraissait pas particulièrement dérangée de fouler la terre humide de sa démarche légère. Si l’automne l’entourait, avec sa vague de fraîcheur, Eva semblait receler en elle une part de chaleur qui la suivait. Un peu comme l’étaient ses yeux, couleur de flammes, au moment où elle usait d’un pouvoir de séduction fatal. Elle était bien la seule, en ce lieu, à ne pas frissonner sous la brise. Les épaules nues, elle ne portait qu’une robe en mousseline, vert mousse, aérienne, qui tombait en cascadant le long de ses cuisses, s’arrêtant à mi-chemin pour mieux souligner ses longues jambes tout aussi nues. Ses cheveux sombres aux vagues reflets violets étaient noués sur sa nuque en une tresse quelque peu dénigrée, qui laissait échapper çà et là quelques mèches rebelles.
Dans sa main, Eva Eden tenait une serviette de bain dont la blancheur immaculée était très probablement un clin d’œil ironique. Où se dirigeait-elle ainsi ? Quittant les abords de la forêt avec un calme presque déconcertant, la jeune femme atteignit les rives du Lac, choisissant l’endroit le plus confortable afin d’y étaler sa serviette. Ses yeux d’un vert étincelant se posèrent sur l’onde, à quelques pas d’elle, semblant vouloir rivaliser avec les diamants à l’état liquide qui se mouvaient à la surface. Elle marqua un temps d’hésitation, son éternel sourire charmeur ancré sur ses lèvres, quand bien même elle se savait seule… à croire qu’il était tout bonnement naturel.
… Tout comme le furent ses gestes par la suite. Avec une nonchalance stupéfiante, Eva retira sa robe et la laissa retomber à ses pieds. N’importe qui présent à cet instant aurait pu constater que la Luxure n’utilisait presque jamais de sous-vêtements. Et certainement pas maintenant. Mais nudiste comme elle l’était, la jeune femme ne se souciait guère d’être aperçue ou non. A vrai dire… peut-être le faisait-elle sciemment pour attirer une proie dans ses filets ? Qu’en savait-on ? Elle redressa la tête vers un ciel pâle mais dégagé, dénué de nuages perturbateurs. Le soleil, lorsqu’il daignait frôler sa peau, n’était pas désagréable. Elle ne semblait pas être touchée par la fraîcheur du fond de l’air, même en tenue d’Eve. Lèvres entrouvertes, elle chantonnait un air indistinct, de sa voix chaude et mélodieuse qui ricochait sur l’eau et amplifiait le son.
Rapidement, elle rejoignit les bords de l’eau, et trempa précautionneusement son orteil pour tester la température. A la manière dont elle retira son pied, et à la légère moue qu’elle esquissa, il n’était pas difficile d’en arriver à la conclusion que l’eau était plutôt froide. Rien de surprenant. Il n’y avait que la Luxure pour décider de piquer une tête dans le Lac en plein mois d’octobre. Mais quand elle avait une idée derrière la tête, il était bien difficile de l’en déloger. Après quelques pas, elle en eut jusqu’aux genoux, marqua un temps d’arrêt, et plongea soudainement, disparaissant vers les profondeurs, sirène tentatrice. Elle réapparut quelques minutes plus tard pour reprendre sa respiration, puis plongea à nouveau. A croire qu’elle cherchait quelque chose… ou bien seulement cachait quelque chose. Comme si sa soudaine envie de se baigner n’était pas seulement désintéressée.
Après trois nouveaux plongeons, la Luxure sortie finalement de l’eau telle une naïade, son corps parcourut de frissons incontrôlés qui laissaient penser qu’elle n’avait pas si chaud que cela, au final. Grelottante, elle saisit sa serviette et s’enroula savamment dedans, laissant la chaleur du tissu se répandre le long de ses épaules. Ses cheveux gouttaient avec rythme le long de son dos, et sa respiration était plus rapide qu’à l’ordinaire. Elle chantonnait toujours. Sans plus attendre d’avoir séché, elle renfila sa robe, dont la mousseline légère se colla immédiatement à sa peau humide. Ce dont elle se fichait royalement.
Satisfaite de sa petite expédition, elle récupéra sa serviette et commença à rebrousser chemin, sautillant à moitié, comme une enfant, sa robe couleur mousse se soulevant à chacun de ses pas, jusqu’à révéler, pour les plus chanceux, une vue absolument imprenable. Le spectacle ô combien intéressant fut interrompu avec brusquerie. Eva avait à peine fait quelques pas pour s’éloigner du Lac que le sol, décidément traître, décida de se dérober sous elle. Ou plus exactement, les racines rebelles d’un arbre, à quelques mètres de là, s’enfonçaient dans la terre, créant des irrégularités précaires et masquées par les feuilles mortes. La jeune femme y enfonça involontairement son pied gauche, qui disparut sous terre jusqu’au genou, sous un vague cri de surprise.
- Wohw !
Eva leva les yeux au ciel, un sourire amusé se dessinant sur son visage. On aurait presque dit qu’elle avait prévu l’incident, ou avait l’habitude d’en être la victime. La Luxure marmonna quelques jurons exotiques, juste pour la forme, à l’adresse de la racine traîtresse, puis tenta d’extirper son pied en s’exclamant gaiement :
- Ok, tu m’as eue, je me rends… Mais rends-moi ma jambe, si ça ne te dérange pas.
Eva s’adressait-elle vraiment au sol ? Ce détail n’était pas si surprenant, au fond, venant d’elle. En revanche, ce qui était encore moins prévu, ce fut la grimace douloureuse que lui arracha une vive douleur à la cheville, tandis que l’écorce irrégulière et tranchante s’enfonçait dans sa peau.
- Aïeuh !
La jeune femme sentit un liquide tiède s’écouler jusque sur son pied emprisonné. Elle cessa aussitôt ses efforts pour s’extirper du piège naturel, de peur que la racine lui laboure la peau. La douleur était largement supportable, bien sûr, mais plutôt désagréable, et l’élançait progressivement, remontant le long de son tibia. Les épaules d’Eva s’affaissèrent légèrement, et elle se laissa retomber dans l’herbe, faisant mine d’abandonner la lutte.
- Allez quoi… Sois gentil…
La Luxure battit des cils, plutôt patiente, compte tenu de la situation. Mais si séduire les êtres humains était pour elle un jeu d’enfant, elle redevenait insignifiante, face à la simple nature.
Sujet: Accident de parcours [Pv Valentin]