Le Val des Ombres
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 Se perdre chez soi [Margaret]

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Caliban Leviaz
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MessageSujet: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyMar 15 Avr - 17:48

[Il vient du dîner de Début d'Année.]

La nuit avait déjà bien avancé, quand Caliban arriva au lieu de rendez-vous habituel. Le temps qu'il quitte le repas, le temps qu'il vienne jusqu'au bord des montagnes, il faisait très sombre. Toujours vêtu de ses habits de soirée, il avait terminé le voyage à pieds, après avoir laissé une sorte de moto - c'était une de ses inventions, donc elle n'avait probablement de moto que l'apparence - sur ce qui restait de sentier. Il n'avait pas plus peur que cela de se faire voler, et de rentrer à pieds dans ses appartements.

Arrivé devant la porte de son ancienne maison, celle dans laquelle sa fille était née, celle dans laquelle il avait vécu durant des années avant de déménager pour l'Ecole du Flux, il fouilla dans les poches de sa veste pour en sortir un clé, puis ouvrit la porte. Ses paupières se plissèrent, quelques peu agressées par la poussière ambiante. Il ne venait pas assez souvent ici pour prendre soin de la maison. Par chance, quand il appuya sur l'interrupteur, la lumière de la pièce principale s'alluma. Il avait tout de même réussi à venir avant elle.

Le Directeur songea un instant qu'il aurait mieux fait d'amener Nix avec lui. Mais la jeune fille était actuellement en train de discuter avec sa soeur. Il n'allait pas non plus tenter de séparer les deux jeunes : ce serait presque suicidaire. Alors tant pis, il verrait Margaret seul. En espérant qu'elle ne se soit pas mis dans la tête de voir Nix. Il s'approcha de la table basse, couverte d'une couche de poussière, comme le reste de cette habitation qui avait survécu on ne savait comment à leurs blessures communes, en tirant un fauteuil. D'un geste souple de la main, il enleva le gros de la poussière, pour déposer un porte-documents devant lui.

Et son oeil vint observer cette porte qui devait s'ouvrir sur Margaret. Ils avaient rendez-vous pour faire le point sur les F. Donc, plus vraisemblablement, ils passeraient un long moment à s'engueuler, avant qu'il ne lui passe les documents, et l'un d'entre eux allait fermer cette porte en la claquant. Caliban n'était pas naïf, il savait ce qu'il allait se passer. Il regrettait d'ailleurs une telle chose, mais ne pouvait rien faire. Margaret avait une capacité incroyable pour l'énerver, encore plus que certains de ses professeurs. Et vu comment elle réagissait, elle pensait la même chose de lui.

Les bras croisés, il attendait, en fixant de temps à autres la porte, ou la fenêtre qui donnait sur les neiges éternelles, là-bas au loin. Ici, il faisait bien plus froid que dans le village et dans l'Ecole. Il regrettait presque de ne pas avoir pris de pull. Il regrettait aussi de n'être, à cet instant, qu'un homme. Elle lui faisait cet effet... ou plus exactement, penser à elle lui faisait cet effet. Cela brisait tout ce qu'il avait de particulier, cela effaçait tout ce qu'il était dans cette Ecole. Probablement parce qu'il savait que cela n'avait pas d'intérêt pour elle. Et il se glissait sur les pensées de celle qui avait été sa femme. Celle qui l'était toujours, même si leur amour avait été mis à mal. Ecrasé par leurs fautes, à tous les deux. Ou par sa faute à lui. Là revenait l'Envie, comme une dernière vague avant le calme plat.

Caliban soupira doucement, ouvrant le porte-documents, pour lire quelques fiches qu'il avait écrites pour les F. La plupart de ces missions, Margaret les traiterait comme des conneries. il la connaissait assez pour savoir cela. Mais ce n'était pas toujours un manque de respect de la part de sa femme. Elle avait une connaissance des gens, une sensibilité qui était bien plus grande que ce qu'il ne montrerait jamais. Elle savait ce qu'il y avait à faire, ce qui manquait de sagesse, dans ce qu'il lui demandait. Elle protégeait ses meilleurs élèves par sa capacité à gérer les Factions comme personne ne l'aurait fait à sa place.

Décidément, il aimait réellement la neige, et se souvenait que c'était une des raisons pour lesquelles il avait placé cette maison ici. Le calme. Cette quiétude qui l'avait mené à se former un peu plus à inventer, et qui leur avait offert une vie commune. Et une fille. Une fille qui balançait des couteaux sur ses professeurs après lui avoir promis de rester sage. N'aurait-il jamais d'autorité sur Nix ? De nouveau un soupir, proche du grognement. Il allait finir par s'endormir, si Maggie ne se dépêchait pas d'arriver.
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Margaret Leviaz
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyMer 16 Avr - 11:30

Il était arrivé avant elle ? Non, pas le moins du monde… Maggie était là depuis plus d’une heure, déjà. Elle n’avait jamais eu une grande notion du temps. Et celle-ci lui échappait entièrement lorsqu’il s’agissait de se rapprocher de sa famille. De sa fille, plus exactement… L’idée de revoir Caliban lui donnait une sensation de malaise et de satisfaction mêlée, qui la laissait pleinement confuse. Face à lui, elle perdait tout ce qu’elle avait… Comment réussissait-il un tel prodige ? Elle ne comprenait pas elle-même cette fureur qui l’emportait chaque fois si violemment vers son époux, pour une broutille, un détail, parfois… Un mot de trop. C’était un trouble qu’elle ne ressentait nulle part ailleurs. Et qu’elle aurait aimé ne pas ressentir… Margaret avait cette sensibilité incroyable envers les gens… mais envers lui, c’était bien pire. Chacune de ses sensations lui paraissait à fleur de peau. Sur le point de lui échapper…

… pouvait-elle seulement appeler ce malaise de l’amour ? Elle n’était plus sûre de rien… Mais ses mains étaient toujours moites, quand elle le voyait, juste en face d’elle. Faiblesse d’autrefois qui persistait ? Peut-être… elle ne devrait pas se le permettre. Mais elle était toujours sa femme… Ce lien avait-il encore une quelconque importance à leurs yeux ? Cela non plus, elle ne le savait pas… Elle ne savait rien, en somme. Si, juste une chose… Sa fille était plus proche d’elle que jamais. Le Val… ce Val maudit qu’elle détestait de toute la fureur de son âme, abritait son enfant en son sein. Enfant qu’on lui avait arrachée…

… peut-être viendrait-elle, cette fois-ci ? Espoir vain, bien sûr… Margaret se refusa à ce genre de cruelles illusions. Nix ne pouvait la voir autrement que comme cette vague connaissance avec qui elle conversait au téléphone… Rien de plus. Rien de moins. C’était si douloureux, de se sentir si infime, dans le cœur de sa propre fille… Comptait-elle seulement à ses yeux ? Savait-elle ce qu’elle représentait pour elle ? Pourquoi l’avait-elle si facilement rayée de sa vie ? Margaret ferma douloureusement les yeux, et poussa un soupir…

Elle était en avance, donc. Le bruit d’un moteur, au loin, la fit se redresser, sans perdre pour autant l’équilibre… L’équilibre ? Oui… Maggie, dans une de ses brusques envies de hauteur, s’était hissée avec une facilité déconcertante jusque sur la poutre principale qui retenait la charpente, et qui agrémentait d’une touche de rustique le salon d’une maison poussiéreuse… siège de souvenirs doux-amers. Ruine d’un passé qu’elle regrettait de toute son âme… Le bruit s’était tu. Il arrivait… Elle pouvait entendre des bruits de pas étouffés par la neige.

Il y eut un battement de cœur irrégulier dans sa poitrine, puis elle se rallongea négligemment sur la poutre, rivant ses yeux que l’obscurité rendait encore plus profonds en direction du plafond, tandis que ses cheveux blonds aux reflets d’ambre coulaient dans le vide, comme une cascade d’or liquide. Ca y était, ses mains étaient déjà moites… Pour une mystérieuse raison, Margaret refusa de montrer à son époux qu’elle était déjà là. Il alluma la lumière, elle ferma les yeux, et attendit qu’il sente sa présence… qu’il entende cette autre respiration au-dessus de lui. Ce qu’il ne fit pas immédiatement. Il devait être plongé dans des pensées que Margaret ne voulait pas connaître…

Elle rouvrit les yeux, et les tourna en direction de la fenêtre, regardant les flocons tomber paresseusement sur un fond de velours noir. Tout était si irréel… Cette maison pleine des fantômes d’un passé délicieux, son mari, juste en-dessous d’elle, si près, qui l’attendait… Son mari ? Seul ? Son cœur remonta jusqu’à ses lèvres. Elle le savait bien, pourtant… Pourquoi Nix serait-elle venue ? Elle avait déjà une vie, là-bas, un peu plus loin… Dans cette Ecole. Une vie dont Maggie ne faisait pas partie.

Ses pensées douloureuses la firent oublier un instant que son mari désespérait toujours de la voir arriver… Mais le grognement d’impatience de Caliban la ramena à l’ordre. Il y eu un mouvement brusque au-dessus de lui, et l’instant d’après, une femme à l’allure féline atterrissait devant la table du salon, vêtue d’une combinaison d’un noir de geais, ses longs cheveux colorés de l’éclat cristallin de la lune, derrière elle. Margaret se redressa vivement, relevant vers Caliban ce même visage aux traits de paradoxe, marqué par la détermination et la douleur. Sa voix, cependant, avait un accent infiniment doux, lorsqu’elle murmura simplement :


- Bonsoir Cal.

Maggie avait la gorge nouée, sans parvenir à s’expliquer pourquoi… Ses yeux d’abysses fixaient le visage de celui qui était encore son époux, car elle portait toujours son nom… Une respiration, puis elle ajouta, bien malgré elle :

- Nix n’est pas venue avec toi.

Cela aurait pu être formulé comme une question, mais le ton était celui, fataliste, d’un pur et simple constat. Qui la faisait souffrir bien plus qu’elle n’aurait osé le lui avouer. Margaret baissa la tête en direction du dossier qui reposait entre les longs doigts du Directeur de l’Ecole du Flux, son supérieur, et elle ajouta, articulant à peine :

- Alors… Qu’est-ce que tu as pour moi ?

La question, anodine, avait des airs de sentence dont Maggie ne prit même pas garde. L’air lui semblait soudainement chargé d’électricité statique. A fleur de peau… Elle l’était à nouveau. Au moindre sursaut, elle hurlerait… pour mieux se protéger.
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Caliban Leviaz
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyJeu 17 Avr - 13:24

[HRP : Euh, étant donné que tu annonces qu'elle était déjà là, je rentre peut-être un peu en contradiction avec mon idée de base du premier message. Donc je m'excuse par avance : étant donné qu'il est obligé de sentir qu'elle est présente, il ne peut que l'avoir sentie, on dira qu'il n'y a cependant pas fait suffisamment attention, perdu dans ses pensées. Et suis désolée, c'est bof, mais je viens de subir une baisse de moral -___-]

Il releva le visage vers elle, quand elle sauta des poutres du plafond, avec une grâce féline qui semblait n'avoir pas changé depuis des années. Margaret était quelqu'un, qui, décidément, ne sentait pas le passage du temps sur sa peau et sur son corps. Elle avait quelque chose de particulier, depuis toujours, quelque chose qu'il n'aurait jamais su nommer. Peut-être était-ce parce qu'il avait beau avoir passé la plupart de ses années avec elle, peut-être était-ce parce qu'elle était sa femme, et que prononcer des mots qui ne devraient plus être était déjà interdit.

Elle était belle. Etait-ce nécessaire de seulement le songer ? Si le Léviathan cherchait à obtenir de nombreuses femmes, qui avaient toutes leurs charmes, Caliban, l'homme, le simple être humain, n'avait eu qu'un amour durant sa vie. Un amour qui, parfois, lui revenait. Elle était désormais un fantôme, une voix au téléphone, quelqu'un qui le fuyait, mais cela ne l'empêchait pas de garder quelques sentiments impérissables pour elle. Des sentiments qu'il ne suffisait que de frôler pour qu'ils deviennent plus forts. C'était la mère de sa fille, c'était la femme de sa vie, celle qui avait su trouver l'être humain dans le monstre. Et si le monstre avait vaincu, dans cette bataille, ce n'était pas de sa faute à elle. C'était lui qui s'était montré trop faible.


-Bonsoir Maggie.

Elle parlait de Nix. Il savait bien qu'elle n'aurait pas su l'éviter. C'était un peu le sujet inexorable, qui les mettait tous les deux à mal. Leur enfant. Dire qu'il y avait des couples qui n'en devenaient que plus forts, en voyant un nourrisson prendre place dans leur monde. Eux, ils avaient fini par se quitter. Ils avaient fait un être merveilleux, et n'avaient pas su en devenir plus forts. Simplement parce que leur famille est constituée de trois caractères difficiles. Cela aurait été bien mieux, s'ils avaient su vivre ensemble. S'ils avaient su s'écouter. Mais ce n'était pas le moment de regretter le passé. Ni celui d'observer les courbes de Margaret, agréablement soutenue par ses vêtements habituels. Il détourna le regard.

-Non. Elle a lancé un couteau sur la professeur de la Luxure, et est partie. Je comptais lui rappeler qu'elle m'avait promis de bien se tenir, mais Calypso a décidé de faire preuve d'autorité. Elles sont parties toutes les deux dehors pour discuter.


C'était résumé, mais bon, il n'avait pas non plus envie de raconter tout dans le détail. Il soupçonnait leur enfant d'avoir parlé de sa relation avec Eva Eden à Margaret. Il verrait bien à sa réaction.


-Et puis Nix ne sait pas que tu es là.


C'était probablement la phrase à ne pas dire, mais autant innocenter Nix. C'était vrai : il ne lui en avait pas parlé. Pas envie qu'elle soit plus insupportable qu'elle ne l'était déjà, ces derniers jours. Cette enfant savait très bien jouer avec les situations, lui parler de ce qui était dérangeant. Caliban n'avait pas eu envie de subir aussi les caprices de sa fille à ce sujet. Alors il n’avait rien dit, il avait laissé le silence sur les déplacements de Margaret, préférant agir ainsi.


-Quelques missions, comme d'habitude. J'ai trouvé des gens intéressants.


Il glissa ses doigts fins sur les papiers. Ces doigts qui avaient peut-être su charmer l’adolescente, il y avait quelques années, qu’était Margaret. Ceux-là même qui avaient créé ce lien entre eux, avant de le briser violemment.

-Enfin je suppose que tu feras le tri, comme d’habitude.


Un constat ? Ou simplement une remarque sur ce qu’elle faisait de son travail ?
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Margaret Leviaz
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyVen 18 Avr - 10:31

Margaret cilla au son de la voix de son époux, sans s’expliquer pourquoi. Deux mots, simplement. Un bonsoir banal, et son prénom. Rien de plus… C’était si dérisoire, qu’elle avait peine à comprendre le trouble étrange où elle se trouvait jetée. Il lui semblait qu’elle évoluait soudain au beau milieu d’un désert miné. Un seul pas, imprudent… et ses nerfs lâcheraient. Pourquoi se comportait-elle ainsi avec lui ? Son corps était en contradiction complète avec son esprit, limpide… cruellement limpide. Cet homme, en face d’elle, n’était plus tout à fait le même. A moins que ce ne soit que le lien, entre eux, qui se soit métamorphosé, d’une si malheureuse façon. Sa voix lui rappelait d’étranges souvenirs, des images fugitives et sans liens les unes avec les autres… Sa voix était différente de celle qu’elle percevait à travers les ondes de son téléphone portable. Cette voix était la preuve irréfutable qu’il était bel et bien à quelques mètres d’elle… Et ses mains moites, comme si cela ne suffisait pas, le témoignaient plus encore.

Peut-être n’aurait-elle pas dû parler de Nix. Elle savait que ce n’était pas ce qu’il fallait dire, pour songer à garder son calme… Mais comment aurait-elle pu ne pas en parler ? C’était sa fille, à elle aussi… Elle avait été sa fille, oui. Mais maintenant, qu’était-elle vraiment ? Margaret ne pouvait pas défier cette nature de mère, cet instinct protecteur et maternel… Voir son mari la ramenait à cette enfant qu’ils avaient eu ensemble. Qui n’était pas là. La femme n’était pas sûre de vouloir en connaître la raison… L’ignorance, parfois, était bien moins douloureuse que la connaissance. Mais elle n’eut pas le choix… Car Caliban se sentit obligé d’expliquer l’absence de Nix.

Insensiblement, les lèvres de Maggie dessinèrent un pâle, très pâle sourire en apprenant que sa fille avait lancé un couteau à Eva Eden. Elle baissa légèrement la tête, comme en guise d’approbation, puis croisa les bras, les épaules légèrement tendues. Bon, d’accord… Que sa fille lance des poignards aux gens n’était pas une bonne nouvelle. Quelque part en elle, la femme s’en alarma d’impuissance. Mais le sentiment qui la dominait, c’était celui d’une satisfaction qu’elle savait purement égoïste et malsaine. Et qu’elle assumait pleinement. Oh oui, elle savait vraisemblablement certaines choses sur la relation que Caliban entretenait avec la séductrice de l’Ecole. Margaret ne savait pas auquel des deux elle en voulait le plus… La pétasse, bien sûr, elle ne pouvait décemment pas la supporter, rien qu’à l’idée de supposer qu’elle puisse profiter aussi impunément de l’homme qu’elle avait aimé.

Et Caliban ? C’était trop tard, de toute façon… Ce n’était pas la rancune ou la rage, qui animait Maggie. C’était la résignation, doublée d’une douleur morose et constante au cœur. Il lui avait déjà fait bien trop mal… il ne pouvait pas faire plus. C’était ainsi qu’elle raisonnait. Et ainsi qu’elle réussissait, sans doute, à maîtriser des envies meurtrières qui la terrifiaient par instant. Alors elle s’en prenait aux poufs qui tournaient autour du Directeur, les abreuvant d’injures qu’elle pensait tout bas. Parce qu’il fallait bien passer cette rage sur quelque chose… Ce fut certainement pour cette raison que quelques mots lui échappèrent, avant qu’elle n’ait le temps de les retenir :


- Oh… J’espère qu’elle n’a pas cassé miss Eden au point qu’elle ne puisse plus laisser toute l’Ecole lui passer dessus…

Ironie pure et simple. Et ironie qui masquait un trouble bien plus profond… Parce que ce n’était pas ce détail là, qu’elle avait retenu, mais le nom de Calypso. Calypso qui faisait preuve d’autorité envers sa fille. Qui était avec elle, en ce moment précis… qui discutait avec sa Nix. Qui lui volait la seule petite place qu’elle avait encore dans le cœur de l’adolescente. Car c’était ainsi, n’est-ce pas ? En son absence, si Nix n’avait pas besoin de mère… elle avait besoin de Calypso. Elle était avec elle, plutôt que de souhaiter revoir sa mère… Et comment lui en vouloir ? Margaret n’y parvenait même pas. La faute n’en revenait nullement à Nix. C’était sa mère, qui l’avait abandonnée… comme elle la comprenait, de ne plus vouloir avoir affaire à elle !

Mais voilà… Cela lui faisait plus mal encore, que de savoir être le seul artisan de son propre malheur. Non, pas le seul… Un regard d’azur profond se riva en direction de Caliban, avec une vivacité qui n’avait d’égale qu’une certaine brusquerie. Lui aussi, avait ses torts… Mais cela ne l’aidait nullement, que de s’en rendre compte. Elle s’entendit encore murmurer, faiblement, avec ce même ton sarcastique et douloureux :


- Ah oui, Calypso… La fille qui crame les gens, tu veux dire. Je lui souhaite bien du courage, si elle veut faire preuve d’autorité envers ta fille…

Ta fille… Pas notre fille, parce qu’ils n’étaient plus deux. Pas ma fille, parce qu’on lui avait ravi Nix bien trop tôt pour qu’elle puisse seulement oser songer à employer un tel terme… Ses mots étaient remplis d’amertume. Déjà, elle regrettait d’en avoir parlé. Déjà, elle regrettait simplement d’être venue. Ses yeux semblèrent foudroyer littéralement Caliban, lorsqu’il crut bon de lui préciser que Nix ignorait sa présence. Sa mélancolie se transforma en agacement. Margaret inspira profondément, tentant un instant de faire preuve d’un semblant de rationalité pour éviter ce qu’elle savait qu’il allait forcément se passer. Irrémédiablement.

Elle se laissa tomber dans un fauteuil, en face du canapé, après s’être vaguement concertée pour savoir s’il était judicieux de s’asseoir sur le canapé, aux côtés de Caliban. Résultat de ses réflexions : la réponse était non, bien sûr. Maggie essaya en se mordant la lèvre, de retenir la remarque cinglante qu’elle brûlait de lancer. Elle ne voulait pas être agressive, elle savait que tout cela était vain. Mais il l’avait blessée, rien que par cette phrase. Alors qu’elle croyait qu’il ne pouvait plus rien lui faire… N’en aurait-il donc jamais terminé ? A l’aide d’un énorme effort sur elle-même, la femme s’obligea à poser son regard fascinant vers les dossiers qui logeaient entre les doigts de Caliban. Doigts qu’elle se surprit à observer un instant… Eux aussi, rappelaient à sa mémoire des images vives, des sensations indescriptibles… échos éphémères de ce qui n’était plus.

Elle entendit à peine ce qu’il lui disait… Peut-être par habitude. Peut-être aussi parce que cela n’avait aucune espèce d’importance, pour elle… Maggie ne songeait plus à grand-chose d’autre qu’à sa fille dont on la privait. Qu’à son époux qui s’était si brusquement éloigné d’elle, à tel point qu’elle avait cru en perdre la respiration. La douleur s’était calmée, ternie avec le temps… mais elle ne cicatrisait pas.


- Je vois… Avant toute chose, mon tri, il t’emmerde. Ensuite, fais-moi voir ça…

Le ton était presque trop détaché pour être vrai. Et les yeux de Margaret ne se relevaient plus vers son mari, de peur que ses nerfs à fleur de peau ne l’abandonnent définitivement. Ses lèvres légèrement tremblantes semblaient maîtriser à grande peine d’autres mots qu’elle aurait voulu prononcer. Elle se pencha vers la table du salon, saisit vivement certaines pages, celles qui étaient sur le dessus, et les parcourut rapidement, tout en commentant d’une voix feutrée, masquée derrière sa feuille :

- Des gens intéressants ce sont des gens qui coupent les autres en petits morceaux pour les faire frire, un truc dans le genre ?... Réponds pas, s’il te plaît, on va encore s’engueuler. Cela étant, les « quelques missions », même si tu dis ça comme si c’était l’équivalent de faire des courses, sont les bienvenues. A ceci près qu’il faut que je vérifie en quoi elles consistent. Mes cocos de la F.I commencent à s’emmerder, j’en ai bien peur…

Elle haussa les épaules, sans plus relever la tête des feuilles qu’elle faisait vraisemblablement semblant de lire, comme pour masquer un état d’énervement qui ne faisait que croître, mais qui disparaissait dans le ton de sa voix détachée.

- Je sais pas ce qu’ils ont ce moment, à chaque fois que je leur pique un truc, j’ai l’impression qu’ils vont mordre… Y en a certains qui sont vraiment sur les nerfs.

Elle la première… Et alors qu’elle formulait cette pensée, Margaret ne put se retenir. Elle ne le pouvait jamais… D’un geste soudain, elle baissa les feuilles, redressa la tête, et planta son regard abyssal dans celui de son mari, résolument, pour articuler d’une traite :

- Je peux savoir pourquoi tu n’as pas jugé utile de prévenir Nix de ma présence ?
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Caliban Leviaz
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyVen 18 Avr - 22:08

-S'il te plaît, ne soutiens pas Nix dans sa tentative de tuer ses professeurs. Et non, elle est simplement blessée au bras, cela se refermera suffisamment tôt et ce n'est pas ce qui l'empêchera d'avoir des relations avec les autres.

Caliban était froid, distant, lointain. Peut-être trop pour être honnête avec ses pensées, penseront certaines personnes. Lui s'en moquait ouvertement. Il n'appréciait pas plus que cela les sautes d'humeur de Nix, et ne comprenait pas pourquoi Margaret avait l'air de se réjouir d'une telle agressivité de la part de sa fille. Cela ne lui ressemblait pas. Du moins, elle ne se comportait pas ainsi avec les autres.

Il la fixait avec un regard sombre, quand elle parlait de Calypso de cette manière qu'il jugeait un peu insultante. S'il n'était pas aussi attachée à la Colère que l'était leur fille, il aimait bien cette jeune femme, et respectait le lien qu'elle avait avec Nix, en l(observant parfois avec un oeil paternel. Il avait l'impression que sa femme, elle, voyait en elle quelqu'un qui piquait sa place dans le coeur de l'enfant. D'une part c'était totalement faux : Calypso n'était pas une mère. D'autre part, il fallait y réfléchir à deux fois avant de quitter le Val, plutôt que d'énoncer des regrets après coup. Il décida cependant de ne pas dire ce qu'il pensait à ce sujet, espérant son regard sombre suffisamment explicite : il n'y avait aucune raison de traiter cette jeune femme comme une voleuse.

Elle ne s'était pas installée à côté de lui, et, en quelque sorte, il s'y attendait. Ils évitaient consciencieusement les contacts, l'un comme l'autre. Peut-être pour bien signifier qu'il n'y avait plus rien entre eux, que du regret et de l'amertume. Il se sentait trahi par cette femme, blessé, comme il l'avait blessée elle-même et probablement jamais suffisamment pour mériter le pardon. L’œil si pâle de l'homme devint lointain, perdu dans la souffrance qu'il s'infligeait, dans ces vagues remous de sa rage, de ce démon qui l'enserrait par moment. Pendant un court instant, il était redevenu fou, avant de revenir sur terre à la voix de Margaret. Et elle était certainement la seule à pouvoir se rendre compte de tels changements, pourtant minimes, en lui.


-Tu sais bien que ce n'est pas si différent que de faire les courses.

Bon, cette simplement phrase avait quelque chose de nauséabond, c'était indéniable. Caliban avait une tendance à prendre les gens pour des cobayes, plus que pour des êtres humains. Et ceci, plus dans l'optique de briser des vies, de devenir plus fort, que parce qu'il se sentait supérieur. La plupart des missions qu'il donnait aux équipiers de Margaret, oui, c'était comme aller faire les courses, comme leur demander de lui rapporter de la chair fraîche sur laquelle faire des expériences.

Il était d'ailleurs difficile de savoir si, dans la folie qui brisait l'âme de cet homme, il faisait la différence entre sa famille et le reste des cobayes. Pas toujours, visiblement, puisqu'il avait donné du Flux à sa femme, et que sa fille avait pu être une de ses victimes les plus sordides. Cet homme n'avait pas de limite à sa chute, et il sentait bien qu'il allait toujours plus bas, en cherchant les hauteurs. Têtu, ou trop atteint pour faire demi-tour, il continuait tout de même dans ses agissements malsains.


-Tu sauras choisir ce qu'il leur faut. Je pense qu'ils ont peut-être besoin d'une intimité que tu ne viendrais pas briser.

Il était dur dans ses mots, il posait des distances entre lui et elle. Pour se protéger, peut-être, pour qu'elle ne vienne plus l'empêcher, justement, de sombrer. Ou simplement parce que l'homme qu'il était avait souffert du départ de sa femme, sans se rendre compte que c'était lui qui était parti.

Et elle repartit sur le sujet de Nix, celui qui ne pouvait que se terminer en une belle engueulade. La tension tortura les doigts de Caliban, qu'il replia sur eux-mêmes, avant de croiser les bras. Son attitude était très significative : il était sur la défensive, et pas qu'à moitié. Il n’allait pas supporter une telle discussion, il allait s’énerver, et il le sentait déjà.


-Parce qu'elle aurait hésité à venir te voir.

Là, voilà. Il y avait des choses qu'il valait mieux ne pas demander, à cet homme, et celle-ci en faisait partie. Il lui avait répondu franchement. Non, il n'avait pas voulu donner l'hésitation à sa fille, ce choix de voir ou non sa mère. Il n'avait pas voulu, peut-être pour la garder pour lui-même, peut-être pour les éloigner l'une de l'autre, peut-être pour que leur fille ne les voit pas ainsi, peut-être pour ne pas voir Nix refuser, non plus. Il y avait une multitude de possibilités, que l'Envie aurait pu envisager. Et toutes revenaient, pour lui, au même point : mieux valait que Nix ne soit pas au courant de sa présence ici.

Après tout, Margaret pouvait lui dire ce qu'elle voulait, il avait pris une bonne décision en taisant sa venue. Il en était plus que certain.


-Mais nous ne sommes pas ici pour parler de ma fille, n'est-ce pas ?

Caliban était plus que sur la défensive, il sentait nécessaire de mordre pour mieux s'échapper. Et il calculait chacun de ses mots, appuyant une sorte d’autorité sur cette femme, rappelant le lien qu’elle avait avec leur enfant, et celui qu’elle avait avec lui, comme pour lui dire que ce n’était pas à elle, qui était sous ses ordres, d’avoir à choisir le sujet de conversation.
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptySam 19 Avr - 0:58

Margaret dut faire un horrible effort pour retenir ce curieux rire ironique à souhait qu’elle sentait poindre sur ses lèvres. Un rire nerveux, qui agitait déjà ses épaules, silencieusement… un rire qui n’avait rien de gai ou de détaché. Il était plutôt la douleur et la dérision concentrées, en une expression si irréelle, qu’elle aurait pu en être déstabilisante, à toute autre personne que son époux. Ne pas soutenir Nix dans ses tentatives meurtrières… Dans sa tête, une petite voix sarcastique, cruelle, lui faisait habilement remarquer que la situation était l’inverse exact de la réalité. Oh, vraiment ? Caliban donnait des conseils sous-jacents à Maggie, quant à l’éducation de leur fille ? La bonne blague… Elle aurait vraiment pu éclater d’un rire moqueur, si elle n’avait pas eu envie d’en pleurer, dans le même instant.

Caliban n’était pas de ceux qui gardaient indéfiniment une mort sur la conscience. Comme si… comme s’il ne savait ce que c’était réellement. Qu’il n’avait pas compris à quel point une vie pouvait être précieuse. Elle n’avait pas réussi à le lui prouver. Elle n’avait pas pu dominer cette chose qui vivait en lui… Ce monstre d’Envie qui l’effrayait et la fascinait à la fois. Elle avait échoué… parce qu’elle ne s’était pas montré assez forte. Mais entendre cet homme-là lui reprocher de soutenir la mort de certaines personnes c’était… c’était cruellement amusant. Mais Maggie garda les lèvres closes. Elle s’en fichait pas mal, de la santé de la pouf de Luxure. Après tout… Cela n’avait aucune espèce d’importance. Ce n’était nullement la pensée de cette jeune femme qui enfonçait entre ses omoplates un poignard invisible.

C’était autre chose… Autre chose que Caliban prenait soin de cultiver. Comme pour mieux faire parvenir la lame traîtresse jusqu’à son cœur. Maggie voulait croire qu’il n’en avait pas conscience… Oui, elle le souhaitait, mais… Mais elle n’était plus à l’âge où l’on se berce encore d’illusion. Elle ne pouvait tout simplement plus se le permettre. Cet homme, elle le connaissait comme personne ne l’avait connu… Sur le bout des doigts. Ou du cœur… D’un regard, si simple, elle comprit qu’il se passait quelque chose. Pourquoi ? Elle n’aurait su se l’expliquer, c’était ainsi. Un pressentiment… Une intuition qui, malgré elle, la liait encore à lui.

Ses yeux se détournèrent du visage de Caliban, comme pour tenter de s’aveugler, sans y parvenir… Elle le sentait froid, distant. Cela ne lui faisait pas plus mal qu’à l’ordinaire. Au contraire… C’était bien mieux. Qu’ils brisent encore quelques nœuds qui les maintenaient enchaînés l’un à l’autre. Qu’il lui donne la possibilité de le détester vraiment… Car ainsi, elle souffrirait moins, n’est-ce pas ? L’aimer et le haïr en même temps, c’était insupportable… Alors le haïr pour de bon…

Margaret ferma les yeux, semblant ne plus écouter ce que son époux remarquait quant aux missions qu’il lui avait confiées. Faire des courses… Oui, le monde autour de Caliban fonctionnait ainsi. Elle ne le savait que trop… Avait-elle eu tort de mettre le pied dans cet univers qui la dégoûtait à présent ? Avait-elle seulement pu faire quelque chose, en lui, qui l’aide ?... Il ne semblait pas avoir besoin d’aide.

Oh si. Bien plus que n’importe qui… Mais ce sentiment de brusque compassion s’évanouit aussi rapidement qu’il était apparu, et les doigts de la femme se crispèrent sur les feuilles qu’elle tenait encore, sans y prendre garde. Réflexion désobligeante de la part de son époux, concernant cette passion qu’elle avait de voler… Réflexion qu’elle aurait pu ne pas relever. Mais son état de nervosité ne le lui permettait pas. Tout comme elle ne permettait pas qu’on lui reproche quoi que ce fût à ce sujet. Lui, moins encore que tous les autres réunis…

Alors ce fut avec une voix tranchante, à peine maîtrisée, qu’elle ne put s’empêcher de répliquer :


- Oh oui, je vois… Tu veux dire, le genre d’intimité que tu laisses à tes aimables cobayes de ton foutu internat, genre des caméras dans tous les coins, on ne sait jamais, jusque dans les douches. Surtout dans les douches… C’est intéressant, j’y penserais, chef.

Le « chef » n’aurait jamais pu sonner d’une manière plus insultante, sortant de la bouche de Margaret. Elle ne sembla pas pour autant regretter ce qu’elle venait de dire… Il était dur avec elle. Alors elle le serait tout autant. Le temps où elle se laissait marcher sur les pieds, humilier, affaiblir par les folies de cet homme… Ce temps-là était révolu. Certes, elle avait commis un nombre incalculable d’erreurs… A tel point qu’elle se savait incapable de se pardonner. Mais il était désormais hors de question qu’elle replonge dans ce cercle sans fin. Il ne lui faisait pas peur. Surtout pas lui.

Pas peur, mais mal. Terriblement mal. Comment s’y prenait-il pour parvenir à la détruire ainsi ? Elle n’avait pas le droit de le laisser faire. Elle s’était promis de ne plus avoir le droit. Pour Nix. Pour lui, aussi. Ou pour elle-même… Margaret se mordit fortement la lèvre quand elle l’entendit répondre la raison pour laquelle sa fille n’était pas au courant de sa présence. Elle ne sut pas véritablement ce qui l’avait le plus blessée, dans ces quelques mots, ni ce qu’elle en comprenait… Mais une boule remonta dans sa gorge. Le genre de sensation qui annonce les sanglots. Non, il ne fallait surtout pas. Surtout pas lui montrer qu’il avait gagné.

Elle détourna résolument la tête vers la fenêtre, fixant la neige qui tombait paisiblement, comme dans l’espoir que ce mouvement aérien et hypnotique l’apaise enfin… Ce qui ne fonctionna pas. Elle n’avait pas besoin d’observer l’attitude de Caliban pour comprendre. Il était sur la défensive. Attaquer, pour mieux se protéger, n’est-ce pas ?Et elle, dans tout ça ?Que devait-elle comprendre ? Qu’elle n’avait plus aucune chance de regagner l’amour de sa fille ? Ou qu’elle était trahie par un époux qui se montrait plus possessif qu’elle-même ?

Elle voulut hurler, mais réalisa que sa voix l’avait momentanément quittée. Et Caliban la remit dans le droit chemin. Pour montrer son autorité sur elle ? Dévier la conversation ? Montrer qu’il savait avoir pris la bonne décision ? Maggie eut une brusque et inexplicable montée d’adrénaline, qui lui donna l’envie subite de balancer quelque chose en travers de la pièce. N’importe quoi… Juste pour entendre un objet se briser. Comme elle se brisait elle-même…

Elle ne trouva rien d’autre qu’une partie du rapport qu’elle avait encore sur les genoux, et qui était légèrement froissé par ses doigts crispés. Loin d’être satisfaisant. D’un geste tremblant, elle chassa violemment les feuilles et retourna la tête vers lui. Alors il voulait mordre, hein ? Elle aussi, pouvait le faire… Sans aucun problème. Elle était même persuadée que ses nerfs lui en seraient infiniment reconnaissants. Son regard aux abîmes insondables foudroya Caliban. Mais l’éclair de ses yeux, au lieu d’être brûlant, était glacial.

Il ne reflétait pas la haine. Mais la douleur la plus amère… Maggie redressa sa taille longiligne, et fit quelques pas en direction du canapé, réduisant à un demi-mètre la distance physique les séparant tous deux. Erreur, peut-être… Elle ne s’en inquiétait pas. Il n’y avait que la rage. Une rage accumulée durant ces dernières années. Une rage tournée contre elle-même, et que les paroles de son époux avaient réveillée…


- Parce qu’elle aurait hésité, ou parce que tu l’aurais fait hésiter ?...

La voix de la femme était cinglante, mais presque douce, prononcée d’une façon quasiment inaudible… D’autant plus troublante. Agressive, elle l’était sans nul doute. Mais sa voix n’était pas aussi brusque et agacée qu’elle aurait pu l’être. Ce qui n’en était que plus mauvais signe. C’était elle, en parlant de Nix, qui les avait fait glisser, une fois de plus. Elle le savait. Mais elle ne le laisserait plus jamais prendre de l’ascendance sur elle. Quand bien même il en avait parfaitement les moyens…

Elle ne savait même pas si elle pensait réellement ce dont elle l’accusait. Probablement pas. Mais elle ne songeait plus qu’à une seule chose : lui faire autant de mal qu’il venait de lui en faire. Le poignarder à son tour. Pas par vengeance. Par souffrance.

Lentement, Maggie se pencha vers son ancien amant, s’approchant d’une si dangereuse façon que son visage ne se trouvait plus qu’à quelques centimètres du sien, tandis qu’elle ajoutait, articulant chaque mot le plus distinctement possible, dans un souffle :


- Tu ne me fais pas peur, Cal. Il y a longtemps que tu as cessé de m’effrayer… Alors ne joue pas à cela avec moi. Ton rôle de Directeur autoritaire marche avec qui tu voudras… Mais n’essaie surtout pas de me faire croire que tu peux quoi que ce soit sur moi. Mords autant de fois que tu le souhaiteras… je ne suis plus la femme faible et démunie qui t’as cédé le terrain, par une faiblesse que je ne me pardonnerai pas.

Margaret avouait sa faute, mais le ton n’était pas celui du repentir ou des regrets. Elle avait dépassé ce stade. Elle ne pouvait plus rien faire d’autre que constater. Et attaquer, elle aussi, pour mieux reconstruire ses défenses d’acier…

- Alors ravale cet empire que tu avais sur moi. Tu l’as perdu quand tu as commencé à voir ta fille comme une de tes créations…

La femme s’approcha encore un peu, de sorte que son époux put sentir son souffle saccadé caresser sa peau, comme une douce menace, alors qu’elle parlait encore, semblant plus froide que la neige qui s’étendait au dehors.

- Tu peux me faire tout le mal que tu veux, tu en as le pouvoir… Mais ne joue pas à ça avec moi.
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Caliban Leviaz
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptySam 19 Avr - 20:32

Que serait le pouvoir, pour un homme comme Caliban ? Que serait le pouvoir pour quelqu'un qui se savait incapable, insensible, perdu dans les méandres d'une chute sans fin, d'une chute dont il attendait avec horreur et fascination l'atterrissage ; ce moment fatidique où âme et corps se disloqueraient en un instant, après s'être retrouvés une dernière fois ? C'était, en un mot, l'impossible. Parce qu'on lui avait bien fait comprendre qu'il n'était pas fait pour obtenir ce qu'il désirait : sentiments, possessions, avenir, tout cela n'était que du vent, que de vagues promesses auxquelles il ne croyait plus. Et si bon nombre des gens du Val vivaient au jour le jour - pensons à ces démons de la Luxure, particulièrement soumis à cette passion de se brûler dans le présent - avec un plaisir parfois néfaste, Caliban agissait ainsi parce qu'il ne croyait pas en l'avenir. Il vivait constamment dans un regret, non pas du passé, mais de ce qui aurait pu être.

La première chose qu'il avait apprise, enfant, du monde, ce n'était pas l'amour de ses parents. Si les Leviaz s'aimaient, ils ne procuraient à leur enfant aucune douceur. Quels parents, au juste, auraient appelé leur fils ainsi, en l'aimant ? Ils savaient parfaitement qui était Caliban dans la littérature, cultivés, et ne ressentaient aucune gêne de l'avoir nommé ainsi. Et puis, il fallait bien l'avouer, Margaret ressemblait à s'y méprendre, à cet instant, à la mère de Caliban. Pas physiquement, non, mais dans sa stratégie d'attaque envers cet homme qui se sentait soudainement enfant. Parce que s'il avait vécu de nombreux sévices physiques de son père, la violence de sa mère était morale, et tout aussi redoutable. L'homme qui faisait à cet instant face à Margaret n'avait pas grandi en se construisant, non, mais en laissant ses parents se détruire. Et si cette femme, celle qui frappait consciemment là où il ne pouvait que souffrir, était si surprenante avec lui, c'était parce qu'elle était la première - et la seule ? - à lui avoir donné la possibilité de se construire une vie.

Mais cela n'avait pas fonctionné. Parce que Caliban était déjà malade, mentalement. Parce qu'il songeait déjà aux probabilités qu'il avait laissées filer, à chaque instant, sans jamais se contenter de ce qu'il avait. Et toute une vie basée sur ce fonctionnement ne changeait pas du jour au lendemain. Et, malheureusement pour Margaret, elle ne changeait pas non plus en des mois, ni en des années. Le Léviathan était présent en cet homme depuis trop longtemps pour parvenir à le faire taire. Et,, faible, puisqu'il se pensait justement ainsi, il l'avait laissé le dévorer, pour n'être qu'une enveloppe, une vague conscience encore présente dans la folie, dans ce qu'il était devenu. Après tout, si elle avait pu se confronter à son démon, peut-être que ses mots n'auraient pas eu autant d'impact, et, c'était toujours une probabilité, peut-être que ni l'un ni l'autre n'aurait été blessé par cet échange.

Malheureusement, Margaret n'était pas n'importe qui. Etre la seule à l'avoir aimé pour ce qu'il était, à lui avoir appris à se libérer des chaînes de ses parents, même s'il était déjà trop tard, c'était un acte de courage qu'il ne saurait jamais assez apprécier à son goût. Elle l'avait convaincu de garder leur enfant, lui qui avait peur de ne pas être un bon père, l'avait soutenu pour qu'il fasse ce qu'il aime, plutôt que ce que les autres voudraient le voir faire, et tout ce qu'il jugeait d'agréable dans sa vie, c'était elle qui le lui avait apporté. Même si ce n'était pas grand chose, face aux nombreuses ombres qui vivaient dans l'âme de cet homme, c'était déjà énorme, c'était un acte héroïque. Elle l'avait regardé non pas comme une arme, non pas comme un assassin, ni même comme un instrument de musique, mais comme un être que l'on pouvait autant aimer que les autres. C'était important, terriblement important. il s'en voulait d'être si faible.

Alors imaginez-la, elle qui lui avait tout donné, le bonheur, l'Eden et l'enfant de leur amour, là, à se comporter comme la femme du Mal, comme sa mère qui l'avait consciencieusement brisé, qui avait fait de son âme une multitude de petits morceaux qui ne pouvaient se recoller, comme celle qui l'avait rendu fou, violent, envieux. Superposer les deux visages, les deux êtres, pour n'en faire qu'un - de violence et de haine - c'était ce qu'il y avait de pire pour lui. C'était le meilleur moyen pour le faire se recroqueviller sur son fauteuil, lui pourtant si grand, pour le faire fermer ses paupières. Et il avait beau avoir une quarantaine d'années, et les cheveux presque aussi pâles que son oeil, il n'en demeurait pas plus vieux qu'un enfant, que ce petit garçon qui observait les autres, ceux qui pouvaient aller à l'école plutôt que de faire du piano jusqu'à ne plus sentir leurs doigts. Cet enfant qui n'avait pas su rire avant de rencontrer celle qu'il aimait, celle qui le poignardait actuellement. Il en regrettait d'avoir agi comme un animal sauvage, quelques instants auparavant, et d'avoir voulu se protéger en l'attaquant. Elle était plus forte que lui, parce que ses faiblesses - à lui - étaient plus importantes.

Il se souvenait des coups qu'il recevait, quand sa mère lui parlait ainsi. En fait, son père le battait, avant ou après les longues tirades de sa mère, alliant les deux violences. Il ne savait pas auquel il en voulait le plus, et n'avait jamais voulu se comporter ainsi avec sa fille. Voilà pourquoi il redoutait infliger une quelconque souffrance à la demoiselle. Pour ne jamais devenir comme eux. A l'inverse de lui, donc, elle s'était construit un ego que certains jugeraient trop développé. Lui était plutôt fier qu'elle ne soit pas dans le même cas que lui. Tout sauf l'Envie. Tout sauf l'autodestruction, mon enfant. Tout sauf une faiblesse immense, dont n'importe qui pourrait profiter.

Faible, inutile, incapable, dénué d'une quelconque importance, et bien d'autres mots et expressions violentes s'entrechoquaient, échos des paroles de Margaret. Il y avait sa voix à elle, celle de sa mère, et une autre, plus sombre, la sienne. Celle d'un homme qui voulait mourir. Qu'elle me tue, je ne désire que la mort de sa main. Il fallait qu'elle reprenne ce qu'elle lui avait donné, après tout, elle était trop bien partie pour s'arrêter en si bon chemin. Et elle pouvait faire pire, bien pire, mais peut-être devait-il souffrir pour qu'elle y aille plus fort ?

La souffrance, ce n'était pas un problème, pour lui. Sa vie ne tenait qu'à un fil, qu'à un désir de suicide, pour qu'il détruise ses propres veines. Son Flux, il le contrôlait tout autant que ceux des autres. En un instant, il pouvait faire jaillir tout ce que contenait ses veines, par une simple pensée. Par bonheur, même s'il était fortement mitigé, Caliban ne souhaitait pas se tuer lui-même, il voulait que ce soit sa femme qui mette fin à ses jours, comme Nix, par une adoration morbide, offrait volontiers corps et âme à son père. Alors une des veines de sa main se brisa, le Flux coupa la peau, entamant un flot de sang sombre sur son corps recroquevillé. S'il souffrait, il ne le dirait pas.


-Ce... n'est pas ça. Ce n'est pas ça. Tu ne me comprends pas.

Parlait-il à sa mère, ou à Margaret, c'était là bien difficile de le savoir. Son oeil était fermé, son visage livide, et un léger mouvement de balancier trahissait, en même temps que son souffle, qu'il vivait encore. Et puis de quoi parlait-il précisément ? Elle lui avait fait tant et tant de réflexions, sur son désir de tout contrôler, d'observer chacun de ses élèves comme un cobaye, sur sa façon d'être avec Nix, avec elle... sur son inutilité et son impuissance, et pas seulement avec elle, avec le monde entier.

Caliban ne supportait pas être un simple pion. Et, pourtant, il avait bien le sentiment d'être moins qu'un pion, moins qu'un grain de sable paumé dans l'océan, moins qu'un mouton de poussière dans cette maison abandonnée. Il n'était rien, absolument rien, personne ne le voyait, personne n'avait besoin de lui. Sa vie n'était qu'éphémère, une anomalie qu'il fallait avorter avant qu'elle ne devienne plus folle qu'elle ne l'était. Pourquoi ne le tuait-elle pas ?

Il releva son visage sur elle. Sur sa femme, si proche, mais qui n'avait jamais été si lointaine, et son oeil ne semblait pas plus la fixer que cela, comme s'il ne reconnaissait pas les traits de son visage, comme si ce n'était pas elle, qu'il voyait, tout en étant trop conscient, justement, qu'elle était Margaret Leviaz, pour le supporter. Souffrir, oui, voilà la seule occupation de son être.


-Tue-moi... Tu sais bien que tu n'aurais pas du me sauver.

Il réclamait plus froid que la neige du dehors, plus froid que la nuit des yeux de Margaret. Il réclamait la morsure d'une lame sur sa peau, contre son coeur, il réclamait la mort, simple, la fin d'une vie qui n'aurait pas du être.

Et Caliban n'agissait pas, comme certains l'auraient pu faire, dans le désir de jouer avec les sentiments de son interlocutrice. D'autres, oui, auraient pu jouer à ce genre de choses, après tout c'était simple de s'amuser avec les restes de sentiments amoureux qu'il y avait entre eux - à moins qu'elle n'en ait plus, il ne saurait trop dire - . Pas lui. Il agissait réellement dans l'unique désir de sa destruction, et ne réclamait pas plus de pitié que celle d'achever un animal malade. Jamais il ne lui serait venu à l'idée d'horrifier sa femme pour la vaincre. Il était le vaincu, soumis, mais pas face à elle. Ou, si, face à elle et à l'image de sa mère, même si Margaret avait cela de plus terrifiant de lui avoir donné, avant de tout reprendre et briser.

Il la regardait, même si son regard clair peinait à la fixer. Il l'observait, comme on observait, justement, son assassin, tout en espérant qu'il en finisse rapidement avec notre vie. Que douleur, souffrance, et peine s'effacent après s'être mêlées une dernière fois en lui, amantes de sa destruction, amantes de l'Envie qui aurait désiré n'appartenir qu'à une femme. Qu'à celle à laquelle il confiait sa mort.
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyDim 20 Avr - 20:26

Perdre ou gagner… Etait-ce si simple ? Cela aurait dû l’être… Mais rien n’était comme elle l’espérait. Margaret ne savait même plus ce qu’elle espérait. Elle était si proche de lui, à présent, qu’elle ne s’en éloignait que d’avantage. Il y avait seulement quelques centimètres. D’infimes centimètres… un espace minuscule, entre eux. De l’air qu’elle aurait pu franchir si aisément… et qui lui semblait des années lumières. Plus les secondes s’écoulaient, plus elle se sentait reculer, alors même qu’elle était incapable du moindre mouvement. Son corps en avait eu assez… Il avait décidé de ne plus obéir à l’esprit cruel et paradoxal de celle qui le conduisait. Il ne bougeait plus, refusant obstinément de briser une proximité qu’elle regrettait. Qu’elle aurait voulu briser… Mais c’était autre chose, qu’elle avait brisé. Quelque chose en lui… ou en elle. Les deux n’étaient pas si différents. Les deux était liés, qu’elle le veuille ou non… Elle ignorait jusqu’à ce qu’elle avait voulu obtenir, par des paroles si rudes.

Se protéger… bâtir des murailles solides… Lui montrer qu’il n’avait pas affaire à la femme qu’il avait laissée s’en aller… Se prouver à elle-même qu’elle avait changée… Se prouver, peut-être, ce qui était faux… S’aveugler plus encore… pour mieux oublier ce qui n’avait plus lieu d’être. Un passé renaissait par instant devant ses yeux. Un passé qu’elle n’aurait pu imaginer, même dans ses rêves innocents de petite fille. Si parfait… Elle l’aimait… Non. Elle l’aime. Pourquoi mettre à l’imparfait ce qui est encore ? Cette certitude l’atteignit comme une flèche, si sèche et si abrupte qu’elle en perdit la respiration… Mais aimer n’avait jamais été si douloureux… aimer quelqu’un que l’on détestait… Détester l’homme de sa vie… C’était comme… comme si une part de son être lui était arrachée, torturée, piétinée… et rendue enfin, dans un état qui ne lui laissait que le temps de la regretter.

Les regrets… Maggie était passée maître dans l’art des regrets… Ces choses impalpables, qui n’étaient qu’une faiblesse de plus rongeant son âme. Les regrets de ce qu’elle avait fait… de ce qu’elle n’avait pas pu faire… et de ce qu’elle faisait encore… Là, juste en face de lui, qui se recroquevillait sous ses paroles, elle crut avoir gagné… et perdu la seule chose qui lui restait encore. Elle avait voulu le blesser. Le blesser autant qu’elle se sentait souffrir elle-même… La rage seule avait guidé son envie d’anéantir celui qui avait fait d’elle cette créature de regret et d’amertume, liée à lui par elle-ne-savait quelle malheureuse ou délicieuse fatalité. Mais la rage avait été soufflée… si vite, qui lui vint un vertige. Que ses pensées redevinrent confuses… Confuses de l’étendue de ces sentiments contradictoires qui agitaient son âme. Parce qu’il y avait Caliban, devant elle… parce qu’il y avait cet homme qu’elle aimait… et parce qu’elle avait obtenu ce qu’elle désirait…

… qu’il souffre. Qu’il comprenne quel coup de poignard il était capable de lui porter… Qu’il ne le refasse plus jamais. Etait-elle si égoïste ? Si aveugle pour ne pas comprendre ce qu’elle venait de provoquer ?… Maggie le savait bien. Ses paroles sonnaient faux… elle ne dirigeait rien, ne maîtrisait rien. Elle n’était capable de rien d’autre que de provoquer la douleur de ceux qu’elle aimait. Volontairement ? Elle-même n’aurait pu répondre à cette question… Une question qui l’horrifiait bien plus encore. Avait-elle voulu ce qu’il se passait en lui ?… Elle le connaissait par cœur. Pourtant, elle se sentait incapable de déchiffrer les pensées morbides qui traversaient l’esprit de son époux. Pourquoi ? Parce qu’elle connaissait l’homme… l’homme qu’elle avait voulu sauver, pour mieux échouer… L’homme qu’elle faisait sombrer, après avoir été celle qui lui avait tendu la main pour le sortir de l’eau. Lui éviter la noyade… Oui, elle connaissait l’homme. Pas le monstre… pas cette chose qui vivait en lui. Oh, elle la sentait, cette chose… Elle la percevait, la présence de ce monstre d’Envie… parce qu’il lui avait toujours disputé sa place au sein de l’âme de Caliban.

Parce qu’elle n’en avait pas la force… parce qu’elle n’était pas un monstre… la lumière que Margaret instaurait en l’âme de son époux ne suffit pas. C’était l’eau contre la flamme… Et la tempête avait enseveli la petite bougie, l’infime lueur que la femme avait cru pouvoir maintenir en vie… Mais à présent que sa rivale était de retour, le Léviathan ne voulait plus seulement éteindre une flamme qui peinait à s’allumer de nouveau. C’était Margaret elle-même, qui se noyait… Le sol n’avait plus de consistance, sous ses pieds… Le plafond, les murs… tout cela n’existait plus. La maison qu’ils avaient habitée, qu’ils avaient rempli d’un bonheur émietté à présent… Tout disparaissait. Ne restait plus qu’eux… Caliban, cet enfant qu’elle avait voulu tiré de l’Enfer… Et elle… qui l’y avait replongé…

L’air autour d’elle devenait presque opaque… Ses mouvements, si elle avait pu seulement les maîtriser, lui auraient parus comme ralentis… Ralentis par une force mystérieuse, cette force de la pensée pure, qui lui faisait croire à cette eau impalpable inondant jusqu’à son cœur, ses poumons… Elle ne pouvait plus respirer. Ses genoux tremblaient si fort qu’elle crut devoir tomber… mais la chute n’était pas possible. Elle n’avait pas le droit… Margaret avait l’intime certitude que si jamais elle se laissait tomber… alors la chute ne finirait jamais. C’était le néant, qui l’attendait. Il n’y avait plus rien, jusqu’en elle-même, qui vaille la peine qu’elle se batte encore… C’était comme… un tombeau liquide, tout autour d’elle, qui l’enserrait.

Comment avait-il pu réussir une telle chose ?... Non, ce n’était pas lui. Ce ne pouvait pas être lui… Il avait ployé sous elle. Il s’était rendu… Elle ne sentait aucune résistance de sa part. Elle l’avait touché au seul endroit qu’elle aurait dû tenir à l’abri. Le savait-elle seulement ?... Alors ce n’était pas lui, qui la noyait. C’était elle-même… Ce n’était pas de l’eau… C’était ses propres sentiments qui tourbillonnaient autour d’elle, jusqu’à la faire suffoquer. Lorsque cette vérité lui apparut… elle comprit jusqu’à quel point elle avait eu tort. Elle comprit tout le secret de cette faiblesse qui persistait en elle… Elle ne le dominerait jamais. Parce qu’elle était encore en lui… Parce qu’elle se voyait, si intimement liée aux mouvements de l’âme de cet homme, qu’elle souffrait avec lui. Qu’elle était touchée d’autant de coups de poignards que de secondes qui s’écoulaient autour d’un Caliban perdu par sa faute. Elle ne pourrait jamais gagner… Car c’était se battre contre elle-même. L’attaquer… c’était blesser son propre cœur. Il n’y avait pas de solution… Elle ne pouvait pas être forte. Elle avait perdu… parce qu’elle avait gagné.

Ce fut la pensée la plus douloureuse qui se fraya un terrifiant passage jusqu’à sa conscience effilochée… Ce fut cette pensée qui la fit tomber à genoux, aux pieds du canapé. Aux pieds de son époux qu’elle avait… presque tué. Qu’elle pouvait encore tuer. Peut-être le savait-elle déjà… elle n’était plus sûre de rien. Le sol était froid, à travers son vêtement. Elle ne sentit rien d’autre qu’une lame de plus. Ses jambes devinrent plus liquides que l’eau dans laquelle elle se noyait encore… La mer abyssale de son regard se retira sur un sable aride et fissuré… Elle voulut fermer les yeux, atteinte d’une lassitude qui lui coupait toute forme de volonté… Mais ses paupières refusèrent d’obéir. Elles eurent raison…

Car Margaret releva courageusement son regard vers son époux, et un frémissement qui n’en finit plus traversa son dos, de part en part… Une couleur sombre, rouge, bien trop rouge, terriblement rouge, s’était mise à couler le long des doigts de Caliban. Le cours de ce liquide de vie, sinueux et aussi lent qu’inquiétant, avait quelque chose d’hypnotique. La femme inspira profondément, comme si elle venait tout juste de sortir la tête hors de l’eau, pendant quelques secondes de répit infime. Ce malaise intense, cette sensation de ne plus être… elle la retrouvait, comme en reflet, au milieu des gouttes de sang qui émettaient un bruit régulier en tombant paresseusement sur le sol. Margaret demeura interdite, comme prisonnière de la vie elle-même, qui s’échappait doucement des veines de son époux…

… et plus le sang s’écoulait, plus elle se sentait faible. Si elle avait pu s’observer dans un miroir, elle aurait croisé le visage le plus pâle qui lui eut été donné de rencontré. Elle n’aurait vu là qu’une étrangère… une femme qui n’en était plus tout à fait une. Cela aurait pu être comme… contempler sa propre mort. Mais ce n’était pas elle, qui allait mourir… Son cœur, elle le sentait, battait toujours dans sa poitrine, avec une régularité presque narquoise, comme pour la punir. Son propre sang frémissait sous sa peau, comme attiré par l’odeur de celui de Caliban… Elle voulut faire un geste vers lui. Mais une fois de plus, elle s’en trouva paralysée…

Aussi impuissante, assise sur le sol juste en-dessous de lui, elle l’entendit parler… Elle n’avait pas besoin de savoir si c’était à elle ou non qu’il s’adressait. Son esprit lui hurlait une réponse qui ne vint pas… Non, elle ne comprenait pas. Peut-être n’avait-elle jamais compris… Mais alors, qu’il lui explique ! Elle n’attendait rien d’autre… pourquoi ne lui expliquait-il pas ? Pourquoi cherchait-il à la blesser ? Pour la voir se dresser contre lui ? Il était un mystère… Un mystère qu’elle avait cru résoudre. Un mystère qui remettait sa vie au creux de ses mains. Quelque chose se passa, en elle, alors qu’elle croisait le regard de cet homme qui lui demandait de le tuer… Quelque chose qu’elle ne comprit pas, mêlant colère, frustration, amour… Quelque chose qui agit comme un coup de fouet.

L’espace d’une fraction de seconde, elle en fut étourdie… Lentement, elle émergea de cette eau, de cet état second qui la maintenait aussi immobile qu’un cadavre, laissant la vie fuir en même temps que le sang de Caliban. Il y eut dans son regard un éclat de volonté vacillant, qui sembla s’éteindre, et se fondre de la profondeur liquide de ses iris. Margaret bougea… un battement de cil, puis une main qui se redressa. Comme un fantôme, elle tenta de se redresser, ses gestes lents, aériens, difficiles… Ses doigts vinrent enserrer le poignet de son mari, teintant sa peau de la couleur sombre de son sang… Le contact était tiède, humide. Le premier contact qu’elle avait osé provoquer de son plein gré… Et elle sut qu’elle ne pourrait plus détacher cette main.

Cela ne l’effraya plus… La demande de Caliban avait réveillé en elle une volonté timide… la flamme que le Léviathan avait soufflée renaissait doucement, si faible… Mais c’était cette faiblesse, qui la faisait exister. De son autre main, Maggie saisit le poignard qu’elle avait fixé à sa botte. La lame refléta un instant un rayon de lune sur le visage de la femme… qui s’apprêtait à accéder à la requête de son époux ?

Non. Elle jeta son poignard au bas du canapé, sans baisser son regard, qui se perdait dans celui de Caliban comme l’océan qui rejoint le ciel. Toujours si près l’un de l’autre… mais incapable de se toucher. Séparés par cette ligne qui s’appelle l’horizon. Et qui n’existe pas vraiment… Margaret n’arrivait plus à voir le visage de son époux. Elle l’observait comme à travers une loupe qui n’aurait pas été lavée depuis des décennies… C’était de l’eau. De l’eau, encore, qui l’empêchait de contempler ce qu’elle aimait. De l’eau qui s’écoulait de ses yeux, le long de ses joues, noyant sa peau sous des larmes qu’elle n’avait pas senties jusqu’ici…

… Depuis combien de temps pleurait-elle ? Il lui semblait que cela avait toujours été le cas… Ses larmes glissaient doucement jusqu’à sa bouche, où elle récupérait leur goût salé, seul lien qu’elle maintenait encore avec un réel qui n’avait plus lieu d’être… La main qui avait jeté le poignard, sembla s’envoler d’elle-même jusqu’au visage de Caliban, dont elle effleura le front du bout des doigts. Margaret eut peur… peur d’aller trop loin. Peur de sombrer plus encore, si elle s’avançait davantage… Peut-être l’avait-il piégée… peut-être l’avait-il sauvée… Sa gorge la piquait, menaçant de laisser échapper un flot de sanglots. Elle se rapprocha… Le cœur de son époux battait trop vite, rythmé par son sang qui s’enfuyait de ses veines, glissant sur son corps… et sur les doigts tremblants de Maggie.

Ce fut à ce moment-là qu’elle entendit quelqu’un parler. Une voix rauque, faible, mais si douce, qu’elle en fut saisie d’étonnement… Une voix douloureuse, qui appelait au pardon. Cette voix, c’était la sienne…


- Non, Cal… Je n’ai pas pu te sauver…

C’était vrai, elle le sut au moment même où elle s’entendait prononcer ces mots. Elle ne l’avait pas sauvé… Elle l’avait abandonné, alors qu’il aurait eu plus que jamais besoin d’elle. C’était fini, à présent… L’était-ce vraiment ? Le sauver… le pouvait-elle encore ? Etait-ce seulement possible ? Lui qui demandait la mort… ne devait-elle pas plutôt la lui accorder ? Non… ce serait renoncer. Perdre. Etre lâche. Elle ne le laisserait pas fuir…

- … Alors ne crois pas une seule seconde que je vais te laisser prendre la fuite… Je n’en ai pas encore fini…

Pas encore fini de quoi ? Ses pensées s’entrechoquait, sa voix était pâle et tremblante… Elle avait l’impression d’avoir quitté son corps, si brusquement, qu’elle pouvait à présent s’observer elle-même parler, frémir… le toucher. Les mots lui échappaient, glissaient sur ses lèvres sans avoir effleuré un seul instant sa conscience. Ils ne venaient que du cœur. Un cœur qu’il aurait peut-être fallu étouffer.

- Je n’en ai pas encore fini de t’aimer… et tant que ce sera ainsi, il sera hors de question que je te laisse t’échapper… Ce n’est pas toi que je combats. Ce n’est pas toi que je veux blesser, Cal… C’est lui.

Tant d’aveux… Tant d’aveux qu’elle aurait dû taire… Qui donc était ce « lui » ? Qui d’autre que ce monstre d’Envie qui l’avait emporté sur elle ? Margaret se mordit fortement la lèvre, jusqu’à en faire perler une goutte de sang, si insignifiante, face à celles qui s’étendaient peu à peu sur le sol, sur leurs mains jointes… Elle se laissa de nouveau retomber au sol, le dos appuyé contre le canapé, la tête renversée en arrière… Ses paupières se fermèrent doucement, et ses lèvres articulèrent la plus douloureuse des conclusions :

- Alors oui, cette fois-ci, j’ai gagné… mais j’ai perdu.

Ce dernier mot redoubla les larmes salées qui inondaient ses joues. Ses doigts, autour du poignet de Caliban, faiblirent leur étreinte, mais maintinrent le dernier contact physique qui leur restait. Celui qui emmêlait leurs deux couleurs de peau au milieu de celle d’un rouge presque paisible. Margaret baissa la tête, plongeant son visage entre ses jambes qu’elle avait ramenées jusqu’à elle. Et de sa voix étouffée, elle murmura encore :

- Cal… Pourquoi n’acceptes-tu pas ce que tu es ? C’est si bien… de n’être rien… Rien du tout, un moins que rien aux yeux de tous… Peu importe… S’il y a d’autres yeux qui te voient autrement… comme les miens…
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptySam 26 Avr - 20:45

Les mains de Margaret avaient quelque chose de particulier. Depuis leur première rencontre, il l'avait remarqué, il l'avait senti, aussi. Elle avait des doigts magnifiques, un grain de peau qu'il avait su aimer dès leurs premiers instants. Qu'elle soit voleuse ou musicienne, au final, elle avait des mains parfaites pour ces arts qui occupaient sa vie. Elle savait faire vivre les plus belles des musiques, et emprisonner ce qu'elle désirait dans ses mains. Elle savait faire vivre les battements de son coeur, et emprisonner son âme dans ses mains.

Il était tombé amoureux de ces doigts, de cette peau, et de l'être particulier qui les habitait. Ils étaient jeunes, esclaves de vies sans libertés, et désiraient exister. Et parce qu'ils appelaient à un but commun, parce qu'ils voulaient briser leurs chaînes, ils avaient su s'entendre, et, vite, être tout l'un pour l'autre. C'était à cela qu'il pensait quand il sentait les doigts de Maggie glisser sur son sang. A leur amour, à ce qu'elle était pour lui. A ce qu'ils étaient l'un pour l'autre. Cela ne l'empêchait pas de désirer qu'elle en finisse avec lui, au contraire, il savait plus que tout qu'elle était la seule à pouvoir le faire, à mériter de posséder jusqu'à sa vie. Caliban ne s'était jamais appartenu.

Alors, bien sûr, cet oeil d'un bleu si pâle se posa sur la lame qu'elle sortit, et qu'elle laissa tomber au sol, avec regret. Alors elle ne voulait pas mettre fin à tout cela. Peut-être agissait-elle par faiblesse, oui, mais telle qu'il la voyait, il ne pouvait voir qu'une femme qui avait, encore une fois, la force de lui résister. Parce que cette opposition était tout ce qu'il restait d'eux. Une force de se dire non, quoi qu'il puisse arriver, de ne pas trop dépendre l'un de l'autre. Lui ne pouvait pas. Parce qu'il sentait qu'une part de lui - ou lui tout entier ? - aimait cette femme à la folie. Alors il n'avait pas la force de s'opposer trop longtemps. Il était faible, terriblement faible, pas comme elle, certes, mais probablement pire qu'elle.

Les doigts de Margaret lui semblaient pouvoir calmer les pires de ses folies, simplement en frôlant son visage. Son oeil vint chercher les yeux de sa femme, tandis qu'un soupir indescriptible franchissait ses larmes. Elle avait des mains magiques, des mains qui soignaient, et refermaient les blessures... non, pas les blessures de n'importe qui. Les siennes. Et il lui semblait avoir manqué de ces caresses si particulières, pendant trop longtemps. Elle était en train de refermer des blessures qu'elle avait elle-même commises, et il souriait... et cela avait beau n'être qu'une esquisse de sourire, c'en était un de ceux qu'il lui réservait, un de ceux gorgés d'humanité, qui n'étaient défaits ni par le mal, ni par la folie. Un tout petit sourire, oui, mais plus vrai que ceux qu'il avait l'habitude de montrer.

Et alors qu'il l'observait, elle lui parlait, et prononçait des mots qui auraient du effacer ce minuscule sourire, qui lui donnait un visage bien plus jeune... non, pas forcément plus jeune, puisque c'était plus exactement la sévérité et la folie qui le vieillissaient avant l'heure. Caliban ne savait plus pleurer. Ce n'était pas son genre, lui qui était pourtant d'eau, et qui observait calmement - toujours souriant - le visage humide de celle qu'il aimait. Son coeur était peut-être noyé sous les larmes, mais ses paupières ne laissaient voir aucune humidité, juste un visage figé dans un instant de paix intérieure qui n'existait pas.

Il l'écoutait, sans montrer une seule réaction face à ce qui, pourtant, faisait naître d'imposantes vagues en son âme.

Elle, elle bougeait en parlait, elle faisait naître la tempête, et ses pensées se lisaient dans ses gestes. Elle était belle, belle dans sa détresse et dans ses expressions, belle dans sa façon d'être, dans le moindre de ses mouvements. Belle, et désirable, bien sûr. Et puis ses doigts, s'ils avaient quitté son visage, pour laisser peu à peu les démons revenir, demeuraient sur sa main, comme s'ils pouvaient cesser le flot de son sang. En quelque sorte, ils le faisaient, car le désir de mourir s'estompant peu à peu de l'esprit de Caliban, son Flux décidait de rester dans ses veines... et son sang aussi, par la même occasion.


-Excuse-moi, ne pleure pas, ça me fend toujours le coeur.

Et pourtant, ses sentiments demeuraient toujours sur son visage, figés dans ce petit sourire. Son oeil ne quittait pas le visage de sa femme, n'éprouvant visiblement aucun désir, mais une passion qu'elle seule pouvait lui offrir. Il fallait être honnête : une pulsion s'imposait dans l'esprit du Directeur, celle d'aller chercher cette goutte de sang qui coulait sur le visage de Margaret, du bout de ses lèvres. Et pourtant, de ses caresses, elle avait effacé suffisamment de folie pour qu'il n'aille pas trop loin pour eux.


-... parce que moi non plus je n'en ai pas fini... de t'aimer.


Contre un aveu, il en fallait un autre, non ? Les longs doigts de sa main valide vinrent glisser le long du cou de sa femme, la forçant à relever la tête, pour croiser de nouveau son regard. Et le froid de son oeil se permit de devenir hypnotique, tandis que ses doigts s'engageaient dans des courbes envoûtantes. Il était proche, intensément proche d'elle... Ses lèvres bougeaient à peine, et sa voix n'était plus qu'un murmure grave.

-Tu es de plus en plus belle, Maggie.

Nix lui ressemblait beaucoup. Il ne le dit pas.


-Mais je sais... qu'avec tout le mal que je t'ai fait, et que je te fais encore, je ne te mérite pas. Je ne mérite même pas de vivre, après ça.

Le flot de son poignet devint un peu plus imposant, et s'il devenait de plus en plus pâle, il ne semblait pas le ressentir. Ce n'était pas suffisamment important, après tout, pour juger que cela devait mettre un terme à leurs paroles.

-Et... c'est ma mère, qui voulait que je sois un moins que rien. Tu sais... sais-tu qu'ils m'ont brisé ? Sais-tu que n'être personne, qu'une ombre qui s'efface... je m'efface, non ? Sais-tu... que les murs froids de la chambre que m'avaient donné mes parents me montraient aussi bien que leurs fenêtres, que je n'étais rien ? Et... si je n'avais pas voulu devenir quelqu'un... juste quelqu'un... jamais je ne t'aurais connue.

Sa voix se brisa dans un sanglot refoulé, sans larmes ni tristesse apparente. Son index s'arrêta sur les lèvres de Margaret, recueillant le sang, pour le porter à la bouche de l'Envie. Et un court instant, il demeura immobile, avant de reprendre ses caresses sur le cou de la voleuse.


-C'est la seule chose que je ne regrette pas... te connaître. Le reste, j'aurais pu faire autrement, j'aurais pu faire mieux. Mieux t'aimer. Mieux te rentre heureuse... Je ne comprends pas... pourquoi tu as laissé ta lame par terre...
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyDim 27 Avr - 0:41

Un frisson vint traverser la nuque de Margaret. Un sanglot mourut sur ses lèvres. Une respiration de trop s’interrompit… Un battement de cœur vint buter violemment contre ses côtes, lui causant douleur et soulagement avec une égale intensité. Perdue… Il n’y avait pas d’autres termes que celui-ci pour définir l’état dans lequel elle se trouvait. Elle n’en voyait aucun… A travers ses larmes, il n’y avait que le blanc de la neige pour venir transpercer l’opacité de l’eau qui ombrageait ses cils. Elle aurait voulu les chasser, ces larmes… D’un revers de main, d’un battement de paupières. Mais voilà… Elle ne dirigeait que l’étreinte de ses propres doigts sur le poignet ensanglanté de celui qui avait été – qui était encore – son époux. Elle ne sentait que cet infime contact, humide et si fragile, qu’elle aurait pu briser à n’importe quel instant… Lui aussi. Non… Ce n’était tout simplement pas possible.

Il y avait ce calme autour d’eux. Le calme d’une nuit aussi sombre que le ciel par la fenêtre ouverte. Aussi froide que la neige qui les engloutissait petit à petit dans son manteau si blanc, si vaste… Ce calme était à la fois rassurant, et oppressant. Elle n’entendait que plus distinctement sa propre respiration rauque, altérée par ses sanglots, et celle, si proche, de Caliban. Elle aurait pu, si elle l’avait voulu, entendre battre son cœur… Leurs cœurs. Elle se refusa seulement à essayer. Et puis il y avait ce bruit hypnotique, celui du sang qui s’écoule… de la vie qui s’échappe… malgré toute sa volonté à l’en dissuader. Mais que pouvait donc l’étreinte de quelques doigts, si fins et agiles fussent-ils, contre l’Envie de mourir ?

Ce calme s’était brisé… Il avait parlé. Peut-être était-ce là la raison de ce frisson dans sa nuque. Margaret ne savait plus comment interpréter les réactions de son propre corps. Cela lui paraissait si désuet, en un tel moment, qu’elle ne chercha pas à le savoir… Elle ferma les yeux, comme si cet infime geste, qu’elle avait pu maîtriser, pouvait lui faire mieux entendre le son de cette voix qui lui faisait mal et bien, tout comme la neige et si froide, mais si belle… Ses genoux se mirent à trembler. Ne pas pleurer ?... Etait-ce une demande, ou une supplique ? Les deux… C’était l’un et l’autre… C’était un aveu. Ne pas pleurer… Oh, elle aurait donné n’importe quoi pour accéder à cette requête. Elle n’y parvint pas…

… pour la simple et bonne raison qu’elle n’avait même plus l’impression de pleurer. Ses larmes venaient d’elle-même, amères et douces à la fois, glissant sur la peau de ses joues, rendue incroyablement pâle, par la peine où elle se trouvait. Il y avait sur son visage des traînées salées qu’elle ne pouvait maîtriser. Tout comme elle ne maîtrisa pas cette ombre de sourire qui vint effleurer timidement ses lèvres rouges, lorsqu’un aveu répondit au sien. Par les mêmes mots… Des mots qui atteignirent une conscience malmenée, avec une lenteur douloureuse. Que signifiaient-ils ? Maggie les avait compris, avant même qu’ils ne touchent son esprit. Elle n’avait besoin que du cœur, pour les entendre mieux encore… Et ce cœur battit un peu plus vite, durant un instant qui lui parut s’éterniser. Qu’était-ce donc ? Un reflet du passé, encore… Peut-être bien. Un vestige de sensations qu’elle avait connues… Du délice simple, dénué d’orgueil ou de satisfaction… Celui de se savoir aimée en retour.

Mais l’instant, éphémère, s’envola sous un battement de cil… Margaret tenta de se reprendre. Lutter encore… Lutter toujours, parce qu’elle s’était jurée ne plus avoir droit à l’erreur. Mais où était l’erreur ? Y en avait-il seulement une ? Confuse, elle sut qu’elle devait esquisser un geste de recul, lorsque les longs doigts de Caliban virent glisser le long de son cou, dessinant sur sa peau un frémissement presque visible. Elle sut qu’elle devait sursauter, se défendre, réagir comme un animal effrayé, mordre encore… Elle le sut, oui. Mais elle ne le fit pas… Ces caresses lui faisaient peur. Oh si peur… Si peur, parce qu’elle les sentait prendre possession d’elle. Acquérir un pouvoir qu’elles n’auraient jamais dû avoir… Oui… elle eut si peur d’apprécier ce qu’il se passa, que ce fut ce regard mi-terrifié, mi-envoûté qui se redressa vers le visage de Caliban, sous son geste…

Elle ne pouvait rien faire d’autre… Rien d’autre que le regarder encore. Sa respiration lui paraissait chaque fois plus douloureuse, comme après un long moment d’apnée. Et elle plongeait plus encore… Ses paupières vacillèrent sans oser se fermer. Elle entendit encore cette voix… qui lui disait qu’elle était belle. Est-ce que ces mots avaient une quelconque importance ? Maggie croyait que non… elle avait tort. Elle le sentait dans chaque frisson qui s’emparait de ses membres. Dans chaque tremblement de ses doigts… C’était une faiblesse. Ou une force ?... Elle ignorait où était la limite de ce sentiment qui la guidait. Elle ne voulut pas la connaître… Surtout pas.

Alors elle le regarda. Et elle l’écouta… Parce que c’était tout ce qu’elle se savait capable de faire. Parce que peut-être y voyait-elle là une issue… Un moyen de le sauver encore. Il lui faisait mal, par ce qu’il était. Par ce qu’il lui disait… Mais elle ne voulut pas le lui faire voir. Ses larmes s’échappaient encore, orphelines sur ses joues, mais son visage était d’une immobilité parfaite. Presque parfaite… Il y avait cette faille dans son regard, qui trahissait de la confusion où elle se trouvait. Et cette main, tremblante, serrée autour du poignet de Caliban.

Il lui parlait de ses parents… Maggie ne maîtrisa pas ce geste soudain de faiblesse et de culpabilité, qui la força à baisser la tête. Le flot de sang qui s’écoulait du poignet de son mari se fit plus fort, sur ses propres doigts. Elle eut peur… Elle se sentit impuissante, encore une fois. Oui, elle savait… Elle savait ce que ses parents avaient fait à Caliban. Elle le savait car ils avaient été si proches, autrefois, qu’ils avaient perdu le sens même du mot secret, entre eux… C’était ce qu’elle croyait. Amère désillusion… Mais cela, il ne le lui cachait pas. Elle en était consciente. Elle ne les haïssait que d’avantage, ces gens qu’elle n’avait qu’aperçus, mais qui avait détruit la seule personne qui put apporter à son existence un sens qu’elle recherchait plus que tout. Elle le haïssait lui, de ne pas avoir eu assez de force pour leur opposer une résistance. Elle se haïssait elle-même, surtout, pour ne pas avoir été capable de briser ce qu’ils avaient érigé en l’âme de leur fils…

Comme le reflet du flot de sang qui s’étirait paresseusement sur leurs peaux jointes par ses doigts, ses larmes sur son visage affluaient encore, plus nombreuses, comme un dernier assaut avant que la citadelle ne s’effondre… Elle avait pourtant promis que cela n’arriverait plus. Elle avait eu tort… Elle voulut reculer, hurler lorsqu’elle vit son index s’approcher d’elle, effleurer ses lèvres, puis revenir, teinté de son sang, vers celles de Caliban… Elle n’en eut pas le courage. Ou l’envie… Elle suivit avec une intensité douloureuse cette goutte de son sang, qui rejoignait son époux. Détourner le regard… Il fallait détourner le regard. Se noyait-elle encore ? Elle avait si peur de faillir à nouveau… Il fallait qu’elle s’éloigne, n’est-ce pas ? Qu’elle maintienne cette distance physique qu’ils venaient de briser tous deux, en si peu temps.

Oui mais… Elle n’y arriverait pas. Il y avait ses caresses dans son cou, qui faisaient renaître de si lointaines passions qu’elle ne pouvait les dominer… Il y avait ses paroles, aussi douloureuses de vérité que des lames acérées, mais si douces cependant, par cette sorte d’amour feutré, masqué, qui en était imprégné entièrement… Il y avait si longtemps qu’il ne lui avait plus dit ces choses-là. Elle était trop sensible… Voilà qu’elle se retrouvait sans défense, parce qu’on lui parlait d’amour. Etait-ce crime ? Cela aurait dû en être un… Elle ne vit qu’une sorte de promesse, vite chassée par les derniers mots de Caliban. Il ne comprenait pas pourquoi… Oui. C’était là ce qui les maintenait si éloignés l’un de l’autre, alors qu’ils étaient pourtant si proches…

Maggie cligna des yeux, et redressa doucement la tête, de sa propre initiative, lui sembla-t-il… Elle n’en était plus très sûre. Son regard d’abysse sonda durant quelques secondes celui de son époux, si fragile et si résistant à la fois… Comme son corps. Comme cette faculté qu’il lui avait donnée. Comme ses os qui pouvaient être un instant plus résistants que le diamant, et la seconde qui suit plus fragiles que du verre… Tout le paradoxe était là. Qu’y pouvait-elle ? Cela semblait-être inscrit jusque dans ses gènes. Ses yeux dérivèrent enfin jusqu’à cette lame qu’elle avait jetée… Elle poussa un faible soupir, et articula doucement, d’une voix qu’elle trouva étrangement rauque :


- Pourquoi je l’ai laissée par terre… Parce qu’elle m’est inutile, Cal. Parce que ce n’est pas avec elle que je vais te sauver, je peux te le jurer… Quand il n’y aura plus rien… Quand je n’aurais plus rien pour me faire croire que j’y peux encore quelque chose… alors peut-être, je la ramasserais. Cela voudrait dire que j’ai perdu… Mais jusqu’ici, ce n’est pas encore le cas… Alors elle restera sur le sol…

Comme pour appuyer des paroles qui étaient à la fois assurées et tremblantes, Margaret donna un petit coup de pied dans son arme, pour la faire glisser encore un peu plus loin d’elle, dans un bruit métallique et froid qui l’effraya involontairement. Cela n’en brisa pas pour autant cette sorte d’autorité dans sa voix, que donne seul l’espoir vain qui guide les âmes solitaires.

- … parce que je refuse de croire que la solution soit la mort… Te rends-tu seulement compte de ce que tu me demandes ? Je ne peux pas, Cal… Même si tu crois que cela ne ferait que le bien autour de toi, tu ne peux pas me demander de prendre ta vie… Elle ne m’appartient que pour en faire quelque chose de bien… pas pour la détruire. Je ne peux pas… je ne pourrais pas…

Son regard vacilla légèrement sous cet aveu soudain de faiblesse. Elle voulut baisser la tête, mais elle se sentit prisonnière de son regard. Elle ne pouvait plus, désormais, quitter ce visage, juste en face du sien… ce visage qu’elle n’arrivait plus à lire aussi bien qu’elle l’aurait souhaité. Ce visage qui la terrorisait et la passionnait en même temps… D’un geste instinctif, elle ramassa du bout de sa langue la goutte de sang qui s’évertuait à perler au coin de ses lèvres, et reprit, à peine consciente que c’était elle qui parlait :

- Ce n’est pas à toi, Cal, de décider ce que tu mérites et ce que tu ne mérites pas… Tu croyais mériter la mort, je ne te l’ai pas donnée… Tu crois ne pas me mériter, pourtant je suis là… pourtant je… n’ai pas pu arrêter de t’aimer… Alors cesse de parler de mérite, d’être digne, ou de ne pas l’être… C’est moi qui le décide. Et je décide qu’il n’y a personne qui ne soit aussi digne que toi de trouver le bonheur…Voilà pourquoi j’ai si mal. Parce que tu n’y arrives pas… et que j’ai cessé de t’y aider.

Sa main, autour du poignet de Caliban, desserra quelque peu son étreinte, en réaction à cette culpabilité qui l’enveloppa soudain dans une étreinte de fer. C’était la vérité. Elle l’avait abandonné… Lui aussi, pas seulement sa fille. Elle les avait abandonné tous les deux… Pourquoi ? Il n’y avait plus aucun sens à présent, à ce qu’elle avait fait. Mais elle ne pouvait pas se permettre de le regretter, encore. Machinalement, elle essuya quelques larmes d’un revers de sa main libre, et murmura à nouveau :

- Je sais… je sais ce qu’ont fait tes parents… Je le vois chaque fois que je te regarde, Cal… C’est contre eux, contre leur œuvre que je voulais me battre… Mais regarde, ouvre les yeux… Ils ne sont rien. Rien de plus, rien de moins que ce que nous sommes tous… Ils ne sont rien pour moi. Je ne veux pas les détester, ni les haïr… je veux les oublier. Les effacer comme ils ont voulu t’effacer… C’est eux qui disparaissent de mes yeux… Et c’est toi que je regarde maintenant. Il n’y a que toi, et moi…

Pour une raison qu’elle ne comprit pas, elle sut soudainement qu’elle en avait trop dit… Instinctivement, elle baissa les yeux, sentant la confusion, alliée à une sorte de fièvre dangereuse à se sentir près de lui, la gagner progressivement, à une vitesse qui l’alarma presque. Sa respiration s’accéléra. Elle chercha un point de repère… et curieusement, celui qu’elle trouva fut ce contact physique, entre eux. Ce sang chaud qui quittait le corps de Caliban… Fixant son regard aux abîmes grandissantes vers ce liquide vital qui fuyait à toute allure, Margaret articula du bout des lèvres :

- Je ne veux pas que tu regrettes… Il n’y a pas eu de mieux, il n’avait pas de raison d’être… Les regrets sont inutiles. Ils ne servent qu’à guider ce sang hors de ton corps… Je t’en prie… Sers-toi de cette énergie qu’ils te procurent pour les transformer… et transformer ce qui peut devenir en une certitude de bonheur… Et la première chose que tu as à faire, c’est d’empêcher ce sang de t’abandonner… C’est un service que je te demande… S’il te plaît…

Lentement, les yeux de la voleuse se redressèrent avec une timidité mélangée à cette force tranquille et ineffable, cachée derrière quelques mèches rebelles de cheveux ambrés…
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyDim 27 Avr - 13:08

Il ne sentait pas ce qu'il faisait ressentir en sa femme, il n'était pas conscient de ce à quoi elle songeait, de ce qui lui faisait mal, à elle. L'Envie ne rendait certes pas égoïste, mais elle faisait de lui un sourd, trop emprisonné dans ses douleurs pour entendre celles des autres. Elle souffrait, mais le Léviathan ne pouvait pas le lui dire, parce qu'il n'était plus humain depuis longtemps, et que l'empathie qu'il aurait du ressentir avec sa femme, il l'avait perdue depuis longtemps. Perdue dans ses désirs, perdue dans ses inventions, perdue dans leur absence et leur mutisme, perdue dans les coups qu'ils se portaient l'un l'autre, plus violents qu'ils n'auraient du l'être.

Alors comment pouvait-il supposer qu'elle voulait fuir ? A vrai dire, ne voyant que le mal, ne voyant que la douleur, et pris par le désir de sa propre mort, il se doutait qu'il la faisait souffrir. Pour Caliban, il n'y avait que cela : il menait les êtres à leur destruction. Il menait ceux qu'il aimait à leur perte. Et il en était plus digne de la mort. Il baissa son regard un court instant, pour observer le corps de celle qu'il aimait, pour en voir des courbes qu'il connaissait par coeur, mais qu'il n'avait jamais cessé de désirer. Elle avait porté leur enfant, il l'avait blessée, elle en était partie. Tout était de sa faute. C'était à cause de lui que Nix ne pouvait pas profiter d'une vraie famille.

S'il en venait à disparaître, tout irait mieux, non ?

Il laissa s'échapper un soupir, simple, à cette pensée. Et puis elle parla, elle répondit à sa question, elle lui expliqua pourquoi elle n'avait pas pris cette lame pour en finir avec lui. Margaret était, en quelque sorte, pleine d'espoir. Bien meilleure que lui. Elle avait toujours foi, il l'avait remarqué depuis leurs premiers instants communs. Cela lui donnait une force particulière, mais il savait aussi qu'il ne valait mieux pas décevoir cet espoir dont elle faisait régulièrement preuve.

Et puis, dans cette opposition qu'elle lui offrait, il ne pouvait s'empêcher de la voir comme forte, bien plus forte que lui, plus pure aussi. Un peu plus, et il se sentirait jaloux de ne posséder ni le courage, ni la beauté de cette femme qui n'était plus tout à fait la sienne. Où étaient les vieux instants de bonheurs ? Brisés dans ses mains, pour devenir un mur contre le futur, contre ce qu'il aurait pu faire d'eux trois. Il aurait mieux fait de se contenter d'une vie simple, pauvre, sans pouvoir mais sans ombre. L'Envie ne savait pas se contenter de quelque chose, alors, s'il regrettait ce qu'il se passait, il sentait bien qu'il ne pouvait pas faire autrement, qu'il n'y avait pas de solution.

Et devenir meilleur, il doutait en avoir la force. Il n'était pas comme elle. Il tombait. Il sentait la chute l'enserrer, les ombres prendre possession de lui, dans le gouffre de la vie. Et un jour, il trouvera le sol, et se brisera sans autre forme de procès. C'était là sa façon de voir sa vie, là sa compréhension du monde, de ce qu'il était et de ce qu'il ne pourrait plus être.

Son sourire si particulier s'effaça quand elle parla de ses parents, de les combattre en lui. Il se tut, enfermé dans un silence qui laissait facilement à penser qu'il était en train de songer à ses parents, justement, à la jalousie, la haine, à ce qu'il ressentait à cause d'eux, et envers eux. Caliban s'accorda le droit de fermer les yeux, dans une expression de sévère quiétude. Il n'était déjà plus là, il était déjà retourné dans la neige. Le Léviathan se dressait peu à peu entre lui et Margaret, lui soulignant ce qu'elle savait faire, et ce qu'il ne pourrait jamais espérer. Il voyait l'espoir sans le croire possible, il voyait la lumière en se sentant ombre, et toute cette distance impossible à briser entre eux.

Le sang s'arrêta de couler entre les doigts de Maggie. Cela demandait beaucoup de concentration de la part de Caliban, pour retenir ce flot d'un bras blessé, et le forcer à continuer sa route en ignorant cette sortie. Il devait prendre conscience de ce liquide, de son voyage, le sentir et le dessiner. Alors, forcément, il n'en fut que plus distant de sa femme, plus silencieux, reprenant son habitude de peu parler.


-Tu as beaucoup de courage, beaucoup d'espoir. Tu as su m'expliquer ces mots, même si je ne peux pas les mettre en pratique. Pourvu que rien ne soit perdu... à part moi.

L'homme chassa la mèche de cheveux qui tombait sur le visage de sa femme. D'un coup d'oeil, il fixa l'heure à sa montre. La nuit était déjà bien avancée. Trop avancée.

-Merci. Ta voix m'avait manqué. Ta beauté aussi. Mais... le temps passe, peut-être devrais-tu partir.

Lui, en quelque sorte, était déjà reparti. Cela se sentait, il se protégeait derrière des nouveaux murs, des nouvelles distances, avant que quelque chose de grave ne prenne forme entre eux. Caliban avait retrouvé ses ombres, ou avait trop besoin de conscience de ce qu'il faisait avec le Flux, pour ne plus pouvoir réellement discuter avec sa femme. Il ferma les yeux, de nouveau, calma comme il le pouvait sa respiration, comme s'il allait s'endormir...

(HRP : voilà, j'ai essayé de te donner l'occasion de clore tout ça ^^)
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Margaret Leviaz
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MessageSujet: Re: Se perdre chez soi [Margaret]   Se perdre chez soi [Margaret] EmptyLun 28 Avr - 0:28

Margaret n’était plus en mesure de savoir ce que ses paroles provoquaient ou non dans l’esprit de son époux… Elle ne voulait plus se concentrer sur autre chose que ce liquide tiède qui lui appartenait, et qui teintait ses doigts d’un rouge hypnotique. Le mouvement en lui-même était languissant. La respiration de Caliban, au-dessus d’elle, et ce silence, aurait pu l’endormir. Déjà, elle sentit ses paupières vaciller quelque peu… Etait-ce la fatigue du voyage ? Ou plutôt de ses émotions trop fortes pour elle, qui l’avait assaillie sans y prendre garde ? Un mélange des deux, probablement… Allié à cette sorte transe où ils venaient de se plonger tous deux. Un peu comme si la neige au dehors les recouvrait petit à petit, pour les immobiliser dans son calme glacial. Pour qu’ils ne se fassent plus de mal… ni de bien. Qu’ils se figent enfin…

La voleuse tenta une respiration, pour reprendre son souffle. Elle commençait à reprendre conscience de tout ce monde, si vaste, qui s’étalait autour d’eux. De ce Val qui avait été autrefois ce Paradis…Paradis perdu, comme tout Paradis qui se respecte, n’est-ce pas ? Lorsqu’elle sentit ses yeux faiblir, une langueur s’emparer de ses membres, et surtout le froid, mordant, qui s’insinuait à travers son vêtement, elle comprit qu’elle ne devait pas rester plus longtemps. Cette idée s’imposa à son esprit avec une clairvoyance et une netteté quasi douloureuse. Elle trancha le brouillard opaque de ses sentiments, et se fraya un passage à travers la jungle qu’étaient devenues des pensées si contradictoires. L’esprit d’analyse, logique, pragmatique, si neutre, revenait à la charge… comme pour la protéger. Protéger ce cœur qui ne s’était que trop dévoilé.

Maggie se sentit si soulagée, qu’elle poussa un profond soupir caressant ses lèvres encore ensanglantées… Soulagée de retrouver assez de conscience pour s’arracher à ce qui semblait être un piège dont ni l’un, ni l’autre n’était conscient ? Ou bien soulagée de sentir que l’écoulement du sang s’était atténué, puis arrêté, au niveau du poignet de Caliban ? Elle n’aurait su le dire. Son esprit qui reconstruisait rapidement ses défenses et des murailles d’acier, ne lui permit pas de répondre à cette question. Elle redressa la tête, dans un geste un peu plus vif qu’auparavant. La sensation d’eau, d’étouffement autour d’elle avait disparue… Elle semblait la maîtresse incontestée du moindre de ses mouvements. Non… pas du mouvement de son cœur, qui choisit de battre un peu plus vite, lorsqu’elle l’entendit parler.

Ses mots ne lui firent ni bien, ni mal… Du moins, ce fut l’impression qu’elle voulut avoir, pour se préserver d’une déception qu’elle savait inexorable. Il reconnaissait son courage, en même temps qu’il reconnaissait l’inutilité du moindre de ses efforts. Il ne baissait pas les bras… puisqu’il n’avait jamais pu faire l’effort de les soulever, ne serait-ce que pour quelques infimes centimètres. Margaret aurait pu en être agacée, ou blessée de comprendre qu’encore une fois, elle se retrouvait impuissante… Elle ne choisit pas de l’être. Ou plus précisément, elle le fut, l’un et l’autre à la fois, mais elle se refusa à les accepter… Il fallait faire demi-tour. S’éloigner précautionneusement de ce qu’elle refusait de quitter.

Il lui sembla alors qu’il avait eu la même pensée qu’elle… Cette idée lui fit germer une petite moue d’ironie cruelle, tandis qu’il la remerciait d’elle-ne-savait-trop-quoi, lui faisait des compliments qu’elle ne méritait pas, et… lui suggérait judicieusement de ne plus s’attarder. Comme s’il avait lu en elle… ou qu’il avait eu la même crainte que celle qui égarait son cœur. Elle le sentait à sa voix… il s’éloignait d’elle. Et elle lui en fut presque… reconnaissante. Ce geste, désuet, qu’il avait eu de replacer une mèche de ses cheveux, était le dernier contact qu’il s’était permis… et qu’elle permettrait, même si le frisson qui l’avait accompagné n’aurait pu être plus explicite.

Maggie inspira doucement, et s’accorda quelques secondes d’immobilité, encore, pour observer le corps recroquevillé, mais calme, de son époux, qui semblait presque vouloir… s’endormir, à présent. Non, c’était bien plus que cela. Il se protégeait… d’elle, ou de lui ? Elle-même l’ignorait… tout comme elle ignorait quelle était cette peur qui la fit se redresser complètement devant lui. Ses jambes vacillèrent un court instant, parcourues de fourmillement d’être restées trop longtemps immobiles, et elle claqua légèrement de ses bottes feutrées sur le sol, comme pour redonner à ses membres une circulation sanguine raisonnable.

Doucement, elle lâcha le poignet de Caliban, avec une précaution mêlant hâte et regret de s’en éloigner… Ses doigts étaient toujours rouges de sang, mais elle sembla s’en moquer éperdument. Son cœur battait bien trop rapidement contre ses côtes, signe plus qu’évident qu’elle devait faire vite, à présent. Elle se baissa, ramassa sa lame, sans même jeter un regard à son mari, et la rangea soigneusement à sa place, la faisant quasiment disparaître derrière cette tunique sombre qui la masquait aux yeux mêmes de la nuit.

Là, debout de lui, elle parut hésiter un court instant… Il ne la regardait pas, ne lui parlait pas… Il semblait concentré à sauver sa propre vie, comme elle le lui avait demandé… Peut-être n’avait-il déjà plus conscience de sa présence. Elle se sentit étrangement rassurée par cette idée… mais ne put s’empêcher de lui murmurer doucement :


- Ce n’est pas du courage… c’est de la folie.

Sa voix était calme et feutrée, mais laissait transparaître cette nuance d’amertume tremblante qui vacilla de même dans son regard abyssal… Margaret n’était plus sûre de savoir la raison qui l’avait faite parler. Une dernière faille avant que la citadelle ne reprenne sa place et son autorité… Oui, peut-être… Sans plus oser s’attarder à l’observer encore, elle détourna à nouveau la tête, ses cheveux d’or balayant l’air suspendu entre eux, puis elle fit mine de s’intéresser au dossier qui était encore sur la table. La partie qu’elle n’avait pas chiffonnée sous la colère… La partie qui n’était pas teintée de quelques ronds rouges de sang…

Elle s’avisa des autres feuilles éparpillées autour d’eux, qu’elle prit soin de réunir, de défroisser et de remettre dans l’ordre, cette activité neutre apaisant considérablement les tensions qui s’entraînaient en une lutte terrible, dans une âme déjà meurtrie par les fracas du combat. Et tout en s’affairant habilement à ce qui lui paraissait pourtant si dérisoire, elle prononça encore quelques mots, tout aussi désuets que l’était le reste, à présent :


- Tu as raison, il se fait vraiment tard… Je… vais y aller, maintenant. Tu m’as donné ce que tu avais l’intention de me donner… J’étudierais ces dossiers à tête reposée, quand je serais de retour chez moi… Et je te ferais savoir ce qu’il en est…

Vide. Tout était tellement vide, dans ce qu’elle lui disait à présent. Des mots qui n’avaient plus de sens. Des mots qui étaient pourtant leur quotidien, quand ils ne glissaient pas, comme ils venaient de le faire, vers la pente la plus abrupte qui existe. Oui… elle allait rentrer chez elle. Seule… Parce qu’elle était seule, chez elle. Seule parmi tous ces gens qu’elle dirigeait… qu’elle appréciait, pourtant… Mais qui ne pourraient jamais remplacer une famille qu’elle avait elle-même perdue.

Elle s’en voulait d’être faible. Elle lui en voulait de ne pas avoir amené Nix… Elle en voulait au monde entier d’être ce qu’il était. Bientôt, Caliban ne serait plus que cette voix, déformée, à l’autre bout du fil, avec qui elle discuterait de points stratégiques, de danger, de ce qu’il convenait ou non de faire… Un associé. Un patron. Pas l’homme qu’elle avait aimé, et qu’elle aimait encore.

Tous ces sentiments étaient loin. Elle les voulait loin, pour se protéger d’eux. Alors elle les enferma quelque part où elle les libérerait tout à loisir, quand elle s’accorderait le droit de fléchir à la douleur d’avoir fait tant d’erreurs. Margaret essuya encore quelques larmes tenaces d’un revers de main, presque maniaque, et ajouta, tout en glissant le dossier, soigneusement rangé et trié, dans son sac qu’elle portait en bandoulière :


- Ne reste pas trop ici, s’il te plaît… Tu vas prendre froid, et je ne veux pas que tu restes loin de Nix trop longtemps. J’ai peur pour elle… Prends soin d’elle pour deux, et si tu en éprouves l’envie, embrasse-la pour moi.

Son cœur se serra bien trop douloureusement pour qu’elle choisisse de s’éterniser encore… Elle l’aurait pu. Il ne tenait qu’à elle de craquer, et de retourner à ce contact effrayant et grisant à la fois, qui lui avait tant manqué. Qui lui manquait toujours… Mais non. C’était trop tard. Il fallait se défendre. L’erreur n’était plus permise.

Alors elle fit quelques pas en arrière, le salua d’un signe de tête à la fois gracieux et hésitant, puis se précipita presque littéralement jusqu’à la fenêtre, par laquelle elle… s’enfuit, oui, il n’y avait pas d’autre terme pour désigner cette disparition soudaine au milieu de la nuit. Margaret sembla tout bonnement s’effacer des yeux de son époux. Et en même temps qu’elle posait le pied sur cette neige qui s’enfonçait en crissant sous ses pas, elle se sentit renaître … et mourir tout à la fois.


[HRP : voilà, je pense que c’est suffisant pour clore, du coup^^]
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